LES RUINES DE LA GRANDE GUERRE VUE DU CIEL

En 1919, une équipe d’opérateurs filme le front en ruine à bord d’un dirigeable de marine. Les prises de vue dressent le bilan en images de villes et des villages dévastés. Le cinéma associé au dirigeable donne une dimension supplémentaire à ce témoignage qui permet de mesurer l’ampleur des destructions de la guerre.

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Survol d’Arras, en dirigeable sur les champs de bataille

Pendant trois mois en 1919, des séquences sont filmées en dirigeable le long de l’ancien front occidental. La vedette Zodiac utilisée pour le tournage, dont on aperçoit parfois dans certaines séquences du film l’ombre portée u sol, pouvait embarquer cinq personnes, La caméra, placée entre la nacelle et le ballon, surplombait les membres d’équipage et couvrait ainsi un champ de 180 degrés. Elle assura des prises de vues exceptionnelles de villes et des villages dévastés, de paysages agraires bouleversés par les tirs d’obus et encore marqués par la trace des lignes de défense.

D’août à octobre, près de 500 km de front ont été ainsi couverts de la côte belge à la région rémoise, au départ de la base de Saint-Cyr, Lucien le Saint un des opérateurs embarqués décrit dans son journal personnel son départ le 8 septembre 1919 au matin pour un vol dans la région de Soissons : Nous partons de Saint-Cyr, le temps est beau, j’installe mon appareil le plus en arrière possible, assez haut de sorte que je domine et pourrais passer entre la nacelle et le ballon pour prendre mes vues et avoir des premiers plans du ballon. Nous montons tranquillement décrivant des cercles entre Versailles et Saint-Cyr, puis ayant atteint 200 mètres de hauteur, le commandant pique droit sur Paris, nous passons au-dessus d’Auteuil, suivons la Seine, la Concorde, Montmartre, nous ne suivons pas toujours une ligne absolument droite, car je tourne en cours de route.

Recherche le spectaculaire, faire de belles images bien éclairées, enregistrer le patrimoine dévasté, les sont les principes que se fixent les opérateurs. Parcourant en moyenne 80 km par heure, en raison de 6 à 9 heures par jour, le dirigeable pouvait ralentir s’immobiliser dans le vent, arrêter ses moteurs et se laisser dériver. Lors du survol des espaces en ruines, le pilote pouvait adapter son altitude et descendre à 40 voit 15-20 mètres au-dessus du sol, permettant ainsi à l’opérateur de mieux cartographier les anciennes tranchées avec leurs détails, les cratères d’obus mouchetant sur des centaines de mètres la surface du sol, ou les amoncellements de grabats dont l’ordonnancement rappelle parfois le tracé de l’ancienne voirie.

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Vue du ciel champ de bataille d’Arras en 1919 

Les bandes filmées donnèrent lieu à un montage de près d’une heure vingt qui ne fut semble-t-il jamais projeté en salle, même si telle devait être finalité comme en témoigne les cartons titres et les intertitres. Ces derniers donnent des repères géographiques à un spectateur convié à un voyage au pays des ruines et les séquences dressent le bilan en images d’une France dévastées en s’attachant plus particulièrement aux villes martyres telles Ypres, Arras, Soissons ou Reims. Le Nord de la France est bien représenté par des séquences filmées au-dessus d’Albert, de Péronne, de Lens et de Bailleul, tandis que le secteur de Verdun et l’Alsace sont ignorées. La longueur du film et des plans traduit le désir de montrer l’ampleur de la dévastation et de donner l’impression de survoler un corps blessé.

La force de ces images tient à une dimension que la photographie ne peut produire et que permet le cinéma allié à la prise de vie d’altitude; le volume, qui donne aux ruines de l’épaisseur; l’altitude permet de mesurer d’une manière presque palpable l’ampleur des destructions. Caméra et vitesse de vol s’adaptent parfaitement entre elles et donnent aux images une impression de fluidité. Les séquences se succèdent sans heurte ni filage, d’une netteté permettant de lire cette carte mobile du front dévasté. Ce film est révélateur d’une volonté de l’après-guerre de conserver la mémoire des ruines et de choisir le film comme support d’enregistrement. Alors que la photographie aérienne avait permis pendant la guerre de cartographier le champ de bataille et de repérer les lieux stratégiques, le cinéma associé au dirigeable permet de fixer autrement les traces de ce qui a été détruit et de mesurer l’ampleur des dévastations.

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