Situé dans une zone de tensions, l’Indochine, est une des colonies françaises les plus importantes, est très convoitée par ses voisins avant que n n’éclate la Seconde guerre mondiale. Alors que le conflit fait rage en Europe, les colonies deviennent un enjeu pour le Japon, ennemi des Alliés, et pour la nouvelle Thaïlande, créée en 1939 sur les cendres du royaume de Siam, qui veut récupérer des territoires perdus quelques années auparavant.
L’Aviso Dumont d’Urville
Les sources de conflit sont nombreuses et exacerbées depuis 1940 entre l’Indochine française, le Japon et la Thaïlande. Celle-ci est aux mains du général Phibun qui cumule les fonctions de ministre de la défense, des affaires étrangères et de chef de l’armée. Imprégné de valeurs fascistes, il plonge le pays dans une phase ultra- nationaliste sous l’influence du Japon. La Thaïlande revendique sa souveraineté sur les territoires à l’est du Mékong notamment la région d’Angkor restituée au Cambodge en 1907, et masse ses troupes sur la frontière afin d’attaquer cette région. Le Japon, quant à lui, en guerre contre la Chine exige la fermeture de la frontière entre ce pays et le Tonkin ainsi que la libre-circulation des hommes et des appareils militaires nippons sur le sol de la colonie française afin de surveiller les activités de Tchang kai Tcheck, pour soutenir la France.
Les tensions entre la Thaïlande et l’Indochine française font rage depuis la signature de l’armistice en Europe. Les effectifs coloniaux français n’étant que de 60 000 hommes, tous les espoirs de reconnaître son permis pour l’ancien royaume de Siam. Ce dernier saisit l’opportunité d’une avancée en Indochine, avec le soutien logistique nippon et italien. Les chantiers navals de Montefaucon, d’excellente réputation, ont en effet fourni les navires d’escorte et d’attaque de la flotte thaïlandaise; leur membre d’équipage a pu s’entraîné. Face à la menace siamoise, le nouveau gouverneur général de l’Indochine l’amiral Decoux, décide d’envoyer en renfort les bateaux du contre-amiral Terraux, commandant de la Marine, sur les littoraux du Laos et du Cambodge. Le 28 novembre 1940, un prétendu bombardement français sur Nakhon Panom dans le nord-est de la Thaïlande, à la frontière avec le Laos qualifié d’acte de guerre par le général thaïlandais, sert de déclencheur. Celui-ci lance en représailles, le 7 janvier 1941, des bombardements incessants sur le saillant de Poïpet (Cambodge) qui obligent les forces françaises à se replier. Le général Martin (commandant supérieur) charge le colonel Jacomy de la contre-offensive. Le commandant appelle alors en renfort la marine d’Indochine basée dans le golfe de Siam, placée sous les ordres du capitaine de corvette Régis Berenger.
Ce dernier est à la tête d’une flotte qui comprend outre le Lamotte-Picquet, des avisos coloniaux le Dumont-D’Urville et l’Amiral Charner, et de deux Avisos Le Marne et le Tahure. Ces navires composent le groupe occasionnel no 7 et sont assurés du soutien des sections d’hydravions de la marine, basée Au nord à 150 kilomètres de Réam. La flotte française date du début du XXe siècle alors que les navires de la flotte siamoise ont été construits entre 1933 et 1938. Les 2000 marins français font face à une flotte royale thaïlandaise composée de plus de 2 300 hommes, de 42 bâtiments dont ( Le Dhomburi), de torpilleurs japonais (Le Chomburi), et (le Songkla), de navires auxiliaires et d’hydravions, au vu de leur nombre et du choix défensif des navires siamois, la stratégie française va donc être offensive, l’amiral Decoux voulant éviter que la France perde la face. L’option terrestre est écartée d’emblée, car l’attaque sur les villages thaïlandais, au début de janvier 1941, a causé de nombreux dommages aux troupes françaises. L’option maritime paraît alors la meilleure solution.
C’est le 12 janvier 1941 que se décide l’opération planifiée par Terraux et Berenger. Trois options sont possibles : Bombarder Satehib (ville située à la pointe est du golfe de Siam et protégée par les batteries côtières), rechercher les navires entre Satehib et la frontière, ou simplement manifester la présence de la flotte française au large des côtes thaïlandaises. Le général martin donne son autorisation pour la deuxième proposition. L’île de Koh-Cahng est choisie pour sa situation stratégique qui limite les possibilités de fuite des navires thaïlandais. Les cartes maritimes françaises n’ayant pas été actualisées depuis la fin du XIXe siècle, le risque d’échouage est important.
Le combat de Koh Chang, anonyme, 1941
Le groupe occasionnel, qui stationnait dans le sud-ouest de l’île de Poulo Conder, appareille dès le lendemain pour le sud en naviguant loin des côtes. Le 16 janvier, deux hydravions sont envoyés en reconnaissance au-dessus des îles de Koh Chang et de Koh-Kut. Les deux objectifs ne pouvant être attaqués simultanément, c’est la première île qui est choisie. Le capitaine prévoit de surprendre la flotte thaïlandaise le 17 janvier à l’aube et d’articuler son groupe en trois sections qui verrouillera les entrées de la rade de Shkupet (sud de l’île). Le jour de l’attaque, les manœuvres débutent dès 5 h 30 du matin. Le groupe se prépare et un hydravion est envoyé en reconnaissance, le second survol de la zone ôte l’effet de surprise et contraint les Français à attaquer dès 6 h15. Pris au dépourvu, les navires thaïlandais tirent maladroitement, ce qui permet à la flotte de Berenger d’ajuster ses tirs et de se rapprocher ses Avisos des navires endommagés, dont trois finissent par coulés.
Les slaves du Lamotte-Picquet, trop longues, atteignent un poste d’observation situé sur l’île. Cet ajustement involontaire va offrir un avantage pour la suite de la bataille. Dès 7 heures, la première partie de l’attaque est un succès. Les navires légers ont joué leur rôle, c’est au Lamotte-Picquet d’entrer en action face aux deux cuirassés lourds thaïlandais : Ahidéa et le Dhomburi. Le premier est détruit lors du jeu de cache-cache entre les îlots, le second sombre après des incendies et une course poursuite et des tentatives de navigation en eaux peu profondes pour enliser le croiseur français. Celui-ci ne s’aventure pas et tire à vue lorsque le Dombhuri tente de s’échappée par un obus de 155 mm l’offensive est terminée à 8 heures et les objectifs pleinement atteints. Il faut donc regagner le large en direction de Saïgon pour éviter l’aviation.
Le résultat de l’attaque est une réussite pour Berenger dont la flotte n’a subi aucun dommage matériel ou humain. Le bilan thaïlandais est beaucoup plus lourd, la flotte est réduite au tiers et il reste que 82 survivants sur la totalité des équipages siamois ce qui ne représente plus une menace pour le littoral indochinois.
L’Aviso Amiral-Charner
Le retour triomphal, la stratégie du capitaine et l’expérience des équipages ont permis cette victoire de Koh-Chang malgré l’infériorité numérique et balistique. La technique de dispersion en trois groupes a réduit l’efficacité des tirs adversaires. Les prétentions thaïlandaises sur le Laos et le Cambodge sont écartées pour un moment. Au retour de cette mission, le capitaine Berenger reçoit la Légion d’honneur et devient contre-amiral en mars 1941, le groupe occasionnel est décoré de l’Ordre de la Marine en avril 1941. Les pourparlers de paix vont pourtant se révéler difficiles. Le Japon qui s’est placé en position d’arbitre, décide, dès février, la tenue d’une conférence à Tokyo et impose un cessez-le-feu à terre. Les délégations thaïlandaises et françaises (représentée par l’ambassadeur de France, Arsène Henry et l’ancien gouverneur général d’Indochine M. Robin sont réunies sous la houlette du ministre des affaires étrangère nippon M. Matsuoka. Commence alors une série de marchandages et de pourparlers qui aboutissent le 9 mai 1941 à une convention de paix entre la France et la Thaïlande. Celle-ci récupère quelques régions khmères, laotiennes et la zone d’Angkor, d’une superficie d’environ 70 000 km2, mais doit verser, en compensation, six millions de piastres en six ans.
Loin d’y perdre au change, le Japon voit ainsi se concrétiser son rêve d’une grande Asie placée sous son autorité. Son plan se met en place dès décembre 1941 et l’implosion de l’Union indochinoise, en 1945, va lui ouvrir toutes les frontières. Le 9 mars le japon attaque les postes et garnisons de la colonie française et enclenche alors le processus d’indépendance des pays de l’Union. C’est la fin de la paix et le début de 30 ans de guerre.