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LA DISSIDENCE EN GUADELOUPE ET EN MARTINIQUE 1940-1945

La dissidence, ses sous ce terme que les cadres du régime de Vichy aux Antilles qualifient l’opposition précoce des Martiniquais et des Guadeloupéens au programme et aux valeurs de l’État français dirigé par Philippe Pétain. De juin 1940 à juillet 1943, une partie de l’élite politique locale, des intellectuels, mais surtout des simples citoyens, multiplient les actes de résistance, creusant ainsi un fossé entre les populations et les institutions que le régime ne parviendra jamais à combler.

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Les hommes du bataillon des Antilles durant leur formation au camp Haranan (Nouvelle-Orléan, États-Unis), octobre 1942

Après la défaite de 1940, la signature de l’armistice avec l’Allemagne nazie et la partition du territoire métropolitain en plusieurs zones les pleins pouvoirs sont octroyés au maréchal Pétain le 10 juillet. Son programme politique, la Révolution Nationale, doit permettre de redresser une France et son Empire considérée comme pervertie. Bien qu’épargnées par les combats, les Antilles demeurent sous la coupe de l’État français l’été 1940, malgré la convoitise que suscite leur position stratégique pour les puissances voisines. Américains et britanniques (les îles de la Dominique et de Sainte-Lucie, voisines, indépendant de la Couronne) craignant, en effet, que la zone de combat ne s’étende au large de leurs côtes.

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Navires de la marine dans la baie des Saintes, dont l’Émile Bertin à gauche, et le Jeanne d’Arc au fond à droite

Plusieurs raisons à cela. En juin 1940, les Antilles deviennent l’une des principales bases navales de la marine française. Un important détachement y est dérouté pour éviter qu’il ne tome entre les mains des Allemands. Parmi ces navires le croiseur Jeanne d’Arc, le porte-avions Béarn, le Barfeur et surtout l’Émile Bertin, qui transporte dans ses cales pas moins de 300 tonnes d’or de la banque de France. Au total, plus de 5 000 marins sont alors stationnés aux Antilles permettant ainsi d’assurer la fidélité des îles au régime de Vichy et à son représentant direct l’amiral Robert, Haut-commissaire de France aux Antilles et en Guyane.

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État-major de l’amiral Robert, 1941-1942

Ce dernier, installé à Fort-de-France, est un ultraconservateur et vichyste de la première heure. Il est secondé par un état-major de commandement ainsi que Yves Nicol en Martinique ou Constant Sorin en Guadeloupe. Cette structure délocalisée est placée sous le contrôle du secrétariat d’État aux colonies dont la tâche principale reste de transposer les moindres aspects de la Révolution Nationale à l’Empire. S’appuyant sur les services de police et de renseignements locaux pour faire taire les opposants et supprimer toute propagande antinationale, le régime impose un retour à des valeurs traditionnelles fondées sur le triptyque Travail, Famille Patrie.

Suivant l’exemple de la métropole, le programme de Révolution Nationale est implanté aux Antilles. S’arc-boutant sur le culte du chef et condamnant un esprit de jouissance propre à une vision caricaturale de la société : Les réunions populaires sont interdites, les carnavals et bals supprimés, le rhum prohibé. Les femmes ne doivent plus travailler, elles doivent s’occuper de leur famille. Les programmes scolaires sont modifiés au profit de l’enseignement de la morale, de l’instruction civique, des travaux pratiques ménagers et agricoles Les emblèmes et devises de l’ordre nouveau fleurissent partout, les places et les rues sont renommées et en février 1942, les crucifix sont réinstallés dans les mairies, les hôpitaux et les écoles. Les lois antisémites y sont même introduites et appliquées. La République est peu à peu démantelée.

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Dissidents antillais dans un camp aux États-Unis, le 4 août 1943

La Dissidence an tan Robé

Aujourd’hui encore certains Antillais évoquent la période de la Seconde Guerre mondiale avec une certaine nostalgie. Par ce raccourcis propre à l’Histoire, la vie en tant que Robé (au temps de Robert) est perçue comme une époque de quasi autosuffisance, ou l’absence de liberté est le rouleau compresseur mis en place par la Révolution Nationale ont réveillé la conscience de la population et l’on conduite à se libérer par elle-même. Nostalgie non pas au régime autoritaire, précocement haï, mais d’une certaine gloire, d’une fierté de la population antillaise.

Dès juin 1940, une partie de la classe politique tente de faire barrage à l’abandon des combats et à la signature d’un armistice. Les conseils généraux de Martinique et de Guadeloupe expriment à l’amiral Robert et aux gouvernements leur volonté de poursuivre le combat aux côtés des Alliés. Refusant l’armistice, ils demandent que le pouvoir soit conféré aux conseils généraux car une pression extérieure est exercée sur l’assemblée nationale (en vertu de l’article 1 de la loi du 15 février 1872). Leur voix n’est pas entendue et nombre de dissidents politiques sont emprisonnés ou déportés en Guyane ou mis aux fers dans les cales de la Jeanne d’Arc. Naît alors une lutte clandestine entretenue par la diffusion de tracts et de feuillets et qui perdurera jusqu’au ralliement des îles à la France libre en juillet 1943.

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Carte postale représentant le bataillon des Antilles à Fort Dix janvier 1943, New-Jersey, États-Unis

Majoritairement, la population n’adhère pas à ce nouveau régime. Craignant un retour à une société archaïque, patriarcale et esclavagiste, redoutant la perte de leur statut de citoyens, exaspérés par les difficultés quotidiennes, les Antillais s’opposent à la politique appliquée par les gouverneurs. Tout devient prétexte à contestation, chaque interdit du régime est contourné, les manifestations collectives et spontanées jalonnent la vie des îles antan Robé.

Cette opposition quotidienne de la population est relayée par l’engagement intellectuel, notamment via la revue Tropique (censurée en mai 1943) dirigé par les époux Césaire par les professeurs du lycée Schoelcher à Fort-de-France ou encore par les peintres et artistes surréalistes. Pour certains, cependant, cela ne suffit pas. Il faut s »exiler et prendre les armes contre le régime. Mais partir est dangereux. Outre les obstacles naturels, il faut affronter les patrouilleurs de la Marine aux ordres de l’amiral Robert, les mouchards de la police et parfois même les passeurs eux-mêmes. Quitter son île est une véritable rupture, c’est déjà un exploit en soit.

Après la traverser des canaux meurtriers d’une quarantaine de kilomètres dans des embarcations rudimentaires. L’exile mène ces jeunes femmes et ces jeunes hommes dans les îles anglaises voisines de la Dominique et de Sainte-Lucie ou se trouvent les bureaux de recrutements FFL. Ils sont alors dirigés vers les envoyés du général de Gaulle, le lieutenant-colonel Jean Massip à la Dominique et Pierre Adigard des Gautries à Sainte-Lucie.

Une sélection est opérée en fonction de leurs compétences : les marins de carrière partent pour l’Angleterre rejoindre les Forces navales françaises libres; les plus expérimentés rejoignent les Forces aériennes françaises libres au Canada, en Angleterre ou en Afrique du Nord, les unités d’élites ou l’École militaire des Cadets de la France libre en Angleterre; les femmes se mettent au service des bureaux de recrutement FFL, intègrent les Auxiliaires féminines de l’armée de terre ou le Corps des volontaires françaises; d’autres encore sont affectés à des fonctions non combattantes (formation d’officiers, agent de liaison, recrutement de soldats pour la France libre). Après le mois d’octobre 1942, les volontaires antillais ne vont plus en Angleterre mais aux États-Unis, notamment à Fort Dix, immense camp d’entraînement d’une superficie égale à celle de la Martinique, situé dans le New-Jersey. Ils y reçoivent matériels et formation militaire.

La libération des îles

Si les premières tentatives de libération débutent en Guadeloupe, il devient vite évidents que la Libération ne pourra se faire qu’après la reddition en Martinique, de l’amiral Robert et de son état-major. Dans la nuit du 30 avril 1943, une soixantaine d’individus essayent vainement de prendre d’assaut le poste de gendarmerie de Port-Louis afin de se procurer des armes. Quelques jours plus tard, le 2 mai à Basse-Terre, des supporters de football rencontrent un groupe de manifestants en train de se réunir. Ensemble ils se dirigent vers la résidence du gouverneur Sorin alternant les cris de vive le goal, Vive de Gaulle. Bloquant l’accès, la gendarmerie tire sur la foule, tuant une personne, en blessant plusieurs autres. Un mois plus tard, Paul Valentino cherche à prendre le contrôle d’un poste d’émission radiophonique. Sa tentative est un échec et sonne le glas des tentatives guadeloupéennes de libération.

Prenant le relais, les Martiniquais manifestent autour du monument aux morts de Fort-de-France les 18 et 24 juin 1943 pour commémorer l’Appel du 18 juin. Malgré l’interdiction du gouverneur Nicol et la présence de gendarmes, de marins et de soldats pour barrer la route du monument, la foule s’assemble place de la Savane aux cris de vive la France, Vive de Gaulle et force le barrage. Il n’y a pas de répression. Une brèche se dessine.

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Dissidents antillais à Porto-Rico embarquant sur l’USS Albertmarie pour les États-Unis le 2 mai 1943

Ainsi le 27 juin, le commandant Tourtet proclame la dissidence pour toute l’île s’appuyant sur les unités stationnées au camp de Balata, en accord avec les Comité martiniquais de Libération nationale. Pour éviter un bain de sang, l’amiral Robert, réfugié sur l’Émile Bertin, annonce, le 30 juin, qu’il accepte de se retirer mais qu’il refuse de négocier avec les insurgés. Le 14 juillet 1943, après 15 jours d’incertitude durant lesquels le commandant Tourtet, Victor Sévère, Emmanuel Rimbaud et d’autres membres du Comité de Libération tentent tant bien que mal de conserver l’ordre, Henri Hoppenot, plénipotentiaire de la France libre et président de la mission envoyée par le Comité français de Libération nationale est accueilli par la foule : Messieurs, je vous ramène la France et la République sont ses premiers mots. Toutefois, la libération des îles ne signifie pas la fin de l’engagement des dissidents. Ceux qui se sont exilés pour lutter sont engagés sur les théâtres d’opération européens.

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Défilé des auxiliaires féminines de l’armée de terre à Alger devant le général de Gaulle, le 14 juillet 1944

Les unités combattantes

Regroupant les premiers Antillais à avoir quitté les îles, le bataillon des Antilles no 1 (BA1), créé en octobre 1942 et formé aux États-Unis, embarque le 24 septembre 1943 pour rejoindre les forces alliées en Afrique du Nord. Le 25 septembre, il devient le bataillon de marche des Antilles (BMA1) et le 18 janvier 1944, le 21e Groupe Antillais de défense contre avions (GADCA), intégré à la 1ère Division française libre (1ère DFL). Il participe à la campagne d’Italie (baptême du feu à Monte-Fiasconne) puis la campagne de France. Poussant jusqu’au Rhin avec la 1ère DFL, le 21e GADCA assure la défense du fleuve en février et mars 1945. Après un rapide passage sur la Côte d’Azur pour défendre la Riviera, il est envoyé à Rouen en vue du rapatriement, le 11 novembre 1945, quelques éléments participent aux défilés sur les Champs-Élysées. Après le rattachement de la Martinique et de la Guadeloupe à la France libre, les Dissidents rapatriés de Sainte-Lucie et de la Dominique ainsi que les nombreux volontaires désirant se battre sont regroupés au sein du bataillon de marche des Antilles no 5 (BMA5). Ils embarquent le 12 mars 1944 en direction de Casablanca pour rejoindre les camps de formation d’Afrique du Nord.

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Course de canots à voile. Ce type d’embarcation était utilisé par les Dissidents pour s’évader des îles

À partir de février 1945, le BMA5 est déployé dans le secteur de Royan. L’activité est réduite à des patrouilles sur les lignes ennemies. Le 14 avril, l’opération de libération de la poche de Royan, est déclenchée. Submergée par la puissance de feu américaine, l’armée allemande se replie, en autre, sur Saint-Georges-de-Didonne, position dont le BMA5 ne tarde pas à se rendre maître. La réduction de la poche de Royan sonne la fin des combats pour le bataillon. Après une courte escale à paris ou une de ses compagnies participe au défilé de la Victoire du 18 juin. Le BMA5 atteint Nantes, étape ultime de son périple.

Lorsque le 12 mars 1944, les combattants du BMA5 embarquent sur le S/S Oregon à destination de Casablanca 23 volontaires féminines les accompagnent. D’autres femmes avaient auparavant, elles aussi quitté les îles pour se mettre au service de la France libre. La dissidence féminine n’est pas un phénomène sporadique. Ces femmes qui ont choisi de se battre sont alors affectées comme auxiliaires féminines de l’armée de Terre et remplissent des tâches d’infirmières, d’opératrices en transmission, de standardistes, de jeunes filles d’état-major, etc. Certaines porteront jusqu’en Allemagne les couleurs de leurs îles natales. L’engagement des Antillais au cours de la Seconde Guerre mondiale est un épisode, une épopée peu connue d’une histoire que l’on croyait bien connaître.

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Libération de la poche de Royan en avril 1945. Des hommes du BMAS escortent des prisonniers de guerre allemands

La reconnaissance du combat des dissidents, si elle est évidente, si elle est évidente aujourd’hui, ne fut pas simple à obtenir. Pourtant, dès ses origines, la Dissidence, dans ce qu’elle a d’universel, dépasse très largement ce type de clivages. Elle ne se limite pas non plus à la seule libération des Antilles, elle se veut avant tout un combat pour la liberté des peuples, une lutte contre l’obscurantisme et le fascisme.

Commentaires:

Une Réponse à “LA DISSIDENCE EN GUADELOUPE ET EN MARTINIQUE 1940-1945”

  1. Maurice SAINT-ALBIN
    Maurice SAINT-ALBIN écrit:

    super je revis la mémoire de ma mère

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