Peu de personne ont encore en mémoire la présence des français sur le territoire de Memel. Pourtant, cet espace, aux confins des empires allemands et russe, fut placé, après le traité de Versailles, sous tutelle internationale et administré par la France de 1920 à 1923.
Les membres de la mission française du général Odry
Le territoire de Memel doit son nom à sa capitale, appelée aujourd’hui Klaïpeda. Ouvert sur la Baltique et situé entre la Prusse orientale et la Lituanie, il est séparé de l’Allemagne le 36 juin 1919, l’Article 99 du traité de Versailles prévoyait en effet qu’il devînt un territoire autonome, sous la protection d’un pays de l’Entente. Peuplé d’environ 130 000 habitants, le port de Memel revêt une importance capitale du fait de la proximité de l’embouchure du Niémen. Convoité par la Pologne et surtout par la Lituanie ce territoire revient à la France qui en assure l’administration. C’est un des rares épisodes communs à l’histoire de ces deux pays.
La présence française se manifeste d’abord par une présence militaire : le 8 février 1920, le 21e bataillon de chasseurs à pied (BCP) arrive à Memel. Il est bientôt rejoint par le général de brigade Ordy et son état-major. Cet officier, chef de la mission militaire française, est chargé de représenter et de mettre en œuvre la politique de l’Entente en attendant que les Alliés ne décident du sort du territoire. Le 15 février, la France prend officiellement possession du territoire au cours d’une cérémonie qui s’achève par une prise d’armes et un défilé militaire. Les autorités s’installent et nomment des délégués dans les différents districts. Les français sont bien accueillis; une fraction non négligeable de la population souhaitera même rester sous autorité française. Un conseiller administratif, M. Petisné est nommé commissaire civil du territoire à partir du 1er mai, le général Ordy étant retourné en France, puis haut-commissaire le 1er mai 1921.
La vie s’organise et une émission de timbres-poste est même créée. Malgré les occupations de maintien de l’ordre, contraignantes pour la population, les chasseurs sont appréciés pour leur rigueur et leur tenue toujours impeccable. Leur présence s’étend sur tout le territoire, notamment à l’occasion de manœuvres, nécessaires au maintien des capacités militaires. Leurs contacts avec la population sont chaleureux, d’autant que les familles des cadres ont été autorisées à les rejoindre et pour beaucoup logent chez les habitants. En 1922, le dispositif est allégé et il ne reste plus que deux compagnies sur le territoire, le maintien de l’ordre étant partagé avec des policiers du pays. De nombreux navires de guerre, polonais, britanniques et français, notamment le Jules Michelet, un des plus grands croiseurs cuirassés français font souvent escale et créent une certaine animation à Memel. Des parlementaires français y sont également reçus, comme le sénateur Anatole de Monzie ou les députés G. Gérard et R. Thoumyre en 1922.
En 1923, la situation se tend. Profitant de la crise internationale provoquée par l’occupation de la Ruhr et en dépit des avertissements des services de renseignements français, le 10 janvier, des éléments lituanien en armes franchissent la frontière et occupent Pogegen, ville située en face de Tilsit, Ils désarment la police de protection, Aussitôt, des éléments du 21e BCP se portent au-devant des assaillants avec le haut-commissaire Petisné. Le 13, Memel est attaqué : Les Lituaniens sont repoussés par les chasseurs, mais parviennent à s’infiltrer jusqu’au centre de la ville. Malgré les pertes sérieuses qu’ils leur ont infligées, les 200 chasseurs commandés par le capitaine Vaukaire sont submergés par près de 2000 assaillants. À l’issue des combats, les français ont perdu deux hommes et plusieurs sont gravement blessés.
Après ce coup de force, les gouvernements alliés décident de transférer à la Lituanie le gouvernement de Memel. Un nouveau statut est signé le 16 février 1923 lors de la conférence des Ambassadeurs qui décide de rapatrier civils et militaires. Une flotte franco-britannique embarque les ressortissants français qui rentrent à Cherbourg le 1er mars. En mars 1939, à la suite d’un ultimatum, le territoire est annexé par l’Allemagne nazie. Après avoir appartenu à l’URSS, il fait partie désormais de la Lituanie.
Si cet épisode a été oublié en France, les Lituaniens s’en rappellent. En 2004, Bernard Jusserand, chercheur au CNRS, a réalisé, avec les autorités lituaniennes, une exposition de 230 photographies et documents sur le sujet qui a connu, à Klaïpeda, un énorme succès. En 2007, elle était présentée au château de Vincennes, et a attiré de nombreux amateurs d’histoire.