Capital en ruine du IIIe Reich qui devait durer mille ans, Berlin acquiert vite après 1945 un nouveau statut imposé par la guerre froide. Le partage de la ville entre les ex-Alliés en fait le baromètre de la confrontation. Est-Ouest dont certains soubresauts ont des répercussions directes sur l’agglomération. Dans le secteur français, les militaires assistent à cette évolution qui conduit à redéfinir leur mission initiale d’occupation.
Réunion à Berlin des représentants des pays alliés, le 5 juin 1945
L’arrivée des forces françaises dans la ville de Berlin à l’été 1945 est consécutive aux accords internationaux conclus entre les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. Les accords de Londres en novembre 1944, puis la conférence de Yalta en février 1945 prévoient l’occupation de la ville par les Russes. Les Américains et les Anglais. La participation française n’est acquise qu’après la conférence de Postdam, en juillet 1945. Aussi, lorsque les éléments précurseurs de la 1e division blindée arrivent avec les troupes anglo-américaines le 3 juillet 1945, ils doivent stationner en secteur britannique, faute de zone attribuée à la France.
Le quartier Napoléon, février 1955
Les arrondissements de Reinickendorf et Wedding ne sont concédés aux Français que le 12 août 1945. Placé sous les ordres du général de Beauchesne, les militaires se répartissent d’abord sur l’ensemble du secteur français. Une note datée du 1er septembre 1945 prévoit que la garnison ne dépasse pas 3000 hommes. Parmi ceux-ci, la gendarmerie, présente dès l’été 1945, compte près de 4000 hommes rassemblés au camp Foch ou un détachement est créé le 7 novembre 1945. L’armée de terre constitue le plus gros contingent à base d’infanterie (RI), implanté en novembre 1947, et le 11e régiment de chasseurs (RCh), arrivée en août 1949, forment l’ossature du dispositif conservé jusqu’au départ des Français. Au début des années 1950, la majorité des troupes et des services français. Au des années 1950, la majorité des troupes et des services français sont concentrés dans l’ancienne caserne Hermann Goering, rebaptisée quartier Napoléon, en souvenir de l’entrée triomphal de l’empereur dans la ville en 1806.
Construction du mur dans la Zimmerstrass à Kreuzberg, novembre 1961
La mission initiale confiée aux forces françaises à Berlin est celle d’une troupe d’occupation dans un pays vaincu. Cette tâche revêt une signification particulière pour bon nombre de militaires français qui ont eux-mêmes connu l’occupation, la clandestinité, les combats ou la captivité. Les premiers temps sont consacrés à la gestion des mouvements de population (prisonniers, réfugiés, déportés), à la recherche de dépôts d’armes clandestins, à la traque de criminels de guerre à la dénazification de la société allemande. Certaines activités initiées à l’époque vont se perpétuer dans le temps.
Visite du président américain J.F. kennedy à Berlin le 26 juin 1963
Ainsi, la garde des hauts dignitaires nazis condamnés au procès de Nuremberg se poursuit jusqu’au décès de Rudolf Hess en 1987, à la prison de Spandau. La relève des troupes détachées par chaque secteur pour quatre mois donne lieu à un véritable cérémonial. Par ailleurs, les forces stationnées à Berlin conservent leur statut de troupes d’occupation, contrairement au reste de l’Allemagne. À ce titre, leur entretient est à la charge de la ville qui reçoit annuellement le montant des dépenses. De façon analogue, l’administration militaire mise en place en 1945 n’est jamais confirmée par l’accord quadripartite du 3 septembre 1971. Jusqu’au 3 octobre 1990, le général commandant les unités françaises porte le titre de gouverneur militaire français de Berlin.
Journée des forces alliées, salut des gardes aux drapeaux, le 25 avril 1964
Chargé de la gestion de son secteur, il est en outre le représentant français auprès de la Kommandatura interalliée, autorisé chargée de diriger conjointement l’administration de la ville. Néanmoins, l’évolution du contexte conduit les forces françaises à aller bien au-delà d’une simple occupation militaire.
Une force protectrice issue de la guerre froide
Situé au cœur de la zone d’occupation soviétique, Berlin devient un poste avancé du monde libre dans un contexte lourd de menaces. La première épreuve de force impose par le blocus soviétique de 1948-1949, change radicalement le rôle des troupes occidentales, dorénavant perçues comme des forces protectrices par les Berlinois de l’Ouest. Durant le pont aérien, l’aviation française joue un rôle symbolique en raison de son engagement en Indochine. Toutefois, le développement de l’aéroport de Tegel s’accompagne d’une montée en puissance de l’armée de l’air qui y crée la base aérienne 165 quelques années plus tard. À l’issue du blocus, la création de la République fédéral d’Allemagne (RFA) et la République démocratique allemande (RDA modifie le rapport de force. Alors que les Soviétiques favorisent l’émergence d’un contingent est-allemand, les Berlinois de l’Ouest, isolés de la RFA, ne peuvent compter que sur les forces occidentales dont les effectifs s’établissent autour de 12 500 hommes (5 900 pour les Américains, 3 700 pour les Britanniques et 2 900 pour les Français).
Gendarme observant le côté est du mur, mars 1970
Dès 1951-1952, le premier plan tripartite de défense, établi pour faire face à d’éventuelles attaques de la part des civils ou d’éléments militaires hostiles, s’accompagne de manœuvres franco-anglo-américaines. Comme l’isolement de Berlin-Ouest dans la RDA et l’écrasant avantage numérique des troupes adverses hypothèquent les capacités de résistance, les trois alliés privilégient les actions retardatrices au profit d’un front situé plus à l’Ouest. Dans ce cadre, le 46e RI se spécialise dans le combat en zone urbaine et le 11e RCh dans la lutte antichar.
Devenu la vitrine idéologique et économique de deux systèmes qui se partagent la ville, chaque secteur vit au rythme des tensions successives entre l’Est et l’Ouest. Certaines d’entre elles focalisent l’attention sur Berlin, comme les premières grèves ouvrières à Berlin-Est en 1953 et surtout la construction du mur en août 1961. Cette crise majeure mobilise les états-majors occidentaux durant plusieurs mois avant le retour à une certaine normalité. Les habitants et les militaires français apprennent à vivre avec le mur de la honte qui devient un élément emblématique de Berlin pendant 28 ans.
À la fin des années 1960, le dispositif militaire français connaît quelques aménagements. En août 1968, un groupement des forces a été créé pour assurer le soutien administratif et technique à l’ensemble du groupement terre des forces françaises stationnées à Berlin. La même année, un centre d’instruction de gendarmerie a été créé. Il forme des sous-officiers de l’armée pendant 23 ans. En 1969, une section du génie est mise en place pour apporter un appui indispensable aux deux régiments de la garnison berlinoise. Le 1er août 1985, elle devient la 110e compagnie de génie. Jusqu’à la fin des années 1980, les militaires français stationnés à Berlin sont soumis à un entraînement soutenu en prévision du pire. Outre les patrouilles le long du mur, manœuvres et exercices rythment les semaines au cours desquelles les marches de jour et de nuit alternent avec les tests de résistance au froid. L’éventualité. D’une attaque n’a jamais été totalement écartée. Comme l’explique lui-même le dernier commandant du secteur britannique, Sir Robert Corbett : Il faut retenir que ces plans étaient bien réels, nous savions que des plans d’une attaque de Berlin et des exercices d’entraînement continuèrent jusqu’à l’année précédant la chute du mur en novembre 1989.
Berlinois sur le mur, la nuit du 9 novembre 1989
Une force invitée issue de la réunification allemande
En ouvrant la voie à la réunification allemande, la chute inattendue du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, bouleverse les perspectives d’avenir de la force française. Le 12 septembre 1990, le traité de Moscou aussi appelé traité 2+4, entre les représentants des deux Allemagne et des quatre anciens alliés de la Seconde Guerre mondiale, celle le sort des troupes étrangères représentées à Berlin depuis 1945. En effet le préambule et l’article 7 précisent que les quatre puissances occupantes abandonnent leurs droits et responsabilités sur l’Allemagne. La fin de l’occupation alliée entraîne la disparition de la Kommandatura interalliée, le 2 octobre 1990. Une séance de clôture est organisée entre les trois commandants des secteurs occidentaux; Le général français François Cann, le major général anglais Robert Corbett et le major général américain Raymond Haddock. Pour la première fois dans l’histoire de cette institution, la presse est autorisée à participer à la séance. Le point central de l’ordre du jour est la signature d’une communication adressée au maire-gouverneur de Berlin et signée par les trois gouverneurs militaires. Aujourd’hui à minuit, peut-on y lire, s’achève la mission des généraux commandants les secteurs d’occidentaux de Berlin. Nous allons bientôt quitter Berlin et éprouver la satisfaction commune couronnée de succès.
Signature du traité 2+4 à Moscou, le 12 septembre 1990
Le lendemain la réunification allemande est officiellement effective. Berlin redevient la capitale de l’Allemagne tout en étant également un Land. Avec la suppression de leur secteur, les militaires français se retrouvent sur le sol d’un État souverain. Les autorités allemandes demandent néanmoins le maintien du dispositif français jusqu’au départ des troupes russes. Il prend l’appellation de forces françaises stationnées à Berlin (FFSB).
Entre 1992 et 1994, les mesures de retrait des forces armées étrangères sont préparées, puis appliquées. L’Année 1994 est marquée par une série de cérémonies au cours desquelles les berlinois viennent manifester leur attachement aux militaires qui s’apprêtent à les quitter. Le 26 mars 1994, les forces armées françaises quittent officiellement la ville de Berlin. Le 18 juin, elles participent à la dernière parade interalliée. Le 8 septembre, le gouvernement fédéral fait ses adieux solennels aux unités militaires des puissances occidentales au terme de près de cinquante ans de présence. La cérémonie a lieu en présence des plus hautes autorités allemandes et d’invités de marque. Le président de la République, François Mitterrand, représentant la France. Le point fort de la journée est la grande retraite aux flambeaux devant la porte de Brandebourg, il s’agit de la plus haute cérémonie d’honneur prévue par le protocole allemand.
Helmut Kohl et François Mitterrand lors de la cérémonie de départ des troupes alliées de Berlin château de Charlottenberg le 8 septembre 1994
Le 24 septembre 1994, les militaires français se retrouvent au quartier Napoléon pour une émouvante cérémonie nocturne de dissolution des services. Ainsi disparaît le 11e régiment de chasseurs, de même que le 46e régiment d’infanterie, fermé pour cause de victoire. L’étendard de l’un et le drapeau de l’autre sont conservé au Service historique de la défense, à la salle des emblèmes du château de Vincennes. Le 28 septembre 1994, une ultime cérémonie militaire se déroule au quartier Napoléon à l’occasion de la remise symbolique des clés. Le colonel Rousselet, dernier chef d’état-major des FFSB et ancien chef de corps de 1990 à 1992, préside la prise d’armes. Le colonel Hoppe, son homologue, devient le commandant militaire de la caserne, baptisée Kaserne Julius Leber. Le soir, le dernier train militaire français quitte les quais de la gare de Tegel emmenant vers Strasbourg les soldats français.
Entre 1945 et 1994, près de 100 000 militaires français, dont un grand nombre d’appelés, sont venues à Berlin pour quelques mois ou quelques années. Dans cette ville au destin exceptionnel, le rôle de ces hommes et de ces femmes a évolué de manière singulière au cours de ces cinquante années. Comme l’a expliqué le général François Cann, chef du gouvernement militaire à Berlin de 1987 à 1990, ces, je pense, un cas unique dans l’histoire de l’humanité ou des vainqueurs arrivent en force d’occupation en 1945, deviennent force protectrice jusqu’en 1990, puis force invitée, car on leur demande de rester sur place jusqu’au départ des derniers Russes.
6 Réponses à “LES FORCES FRANÇAISES À BERLIN DE 1945 À 1994”
15 février, 2019 à 8 h 56 min
Très émouvant de lire ses explications sur nos forces en Allemagne Mon papa aujourd’hui décédé avait servis au QG service du contre espionnage 2 Ime bureau de 1952 a 1954 A chaque fois qu’il en parlait l’émotion se ressentait . Aujourd’hui restent les souvenirs sous forme photographique .
16 février, 2019 à 17 h 22 min
Je vous remercie pour cet article. Je suis fier d’avoir servi la France à Berlin ou la discipline et l’entrainent étaient de rigueur. Mais nous avions une très belle caserne étions bien vêtus et mangions très correctement. Merci
15 avril, 2019 à 21 h 10 min
Je vous remercie pour ses commentaires. Amicalement Jean Paul
2 mai, 2019 à 19 h 32 min
J’ ai fait mon centre commando au quartier Napoléon inoubliable
2 mai, 2019 à 20 h 01 min
Bonjour
Je vous remercie pour ce commentaire c’est très apprécié de ma part.
Amicalement Jean Paul
3 novembre, 2019 à 18 h 14 min
Bonjour
Je cherche des renseignements sur mon père dcd qui disait avoir été « gardien de prison » à Spandau entre 1947? et 1950.
j’aimerais savoir à quel titre (adm pénitentiaire ? armée ? gendarmerie ?) ou personnel civil au statut particulier.
Merci de m’aider