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DES ÉCRIVAINS FRANÇAIS DANS LA TOURMENTE ALGÉRIENNE

De Sartre à Camus en passant par Malraux, Maurice ou Michel Déon, la guerre d’Algérie, commence, aux yeux des historiens, le 1er novembre 1954 par une série d’attentats meurtriers perpétuer contre des objectifs civils et militaires. En Kabylie, les observateurs n’en eurent généralement pas conscience à l’époque, même si, pour la première fois le Front de libération national (FLN), qui est à l’origine de ces actions armées, manifeste publiquement sa volonté de parvenir à l’indépendance.

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Une de la Liberté, mercredi 3 novembre 1954

En métropole comme en Algérie, l’opinion est d’autant plus incrédule quant au caractère de l’insurrection, expression revendiquée par les nationalistes algériens, qu’aux yeux des pouvoirs publics, ces actes de banditisme relèvent du maintien de l’ordre. Ainsi débute une guerre qui ne dira jamais vraiment son nom et durera plus de huit ans. Si l’opinion française va progressivement évoluer en faveur de l’indépendance algérienne, au début du conflit. Celle-ci apparaît impensable aux responsables politiques. Chef du gouvernement qui va négocier l’indépendance de la Tunisie, le radical socialiste Pierre Mendèz France, tient le 12 novembre des propos très ferme à l’assemblée nationale.

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Visite officielle de françois Mitterrand en Algérie 19 au 23 octobre 1954

L’Algérie c’est la France et non un pays étranger déclare-t-il ajoutant qu’on ne transige pas quand il s’agit de défendre l’intégrité de la République. Soutenu par l’ensemble du corps parlementaire, il annonce une répression sans faiblesse. Si la Tunisie était un protectorat, l’Algérie fait en partie intégrante du territoire français, juridiquement parlant en tout cas. Conquise par la France depuis 1830 et annexée par la suite, à travers des campagnes militaires d’une grande violence qui se heurtèrent notamment à la résistance de l’Emir Abdel Kader, l’Algérie fut dénommée pour la première fois ainsi sous la monarchie de Juillet en 1839 et déclarée territoire français par la constitution républicaine de 1848.

Auparavant, les régions qui constituaient cet immense territoire étaient contrôlées par une Régence dépendante de l’Empire ottoman, mais qui jouissait d’une large autonomie. Certes, nul n’ignore, parmi ceux qui se sont penchés sur la très complexe question algérienne, que la situation des trois départements qui composent cette région est très préoccupante. Ces maux sont depuis longtemps répertoriés. À commencer par  la misère d’une partie de sa population musulmane, dont 90% est encore analphabète, nonobstant, l’Algérie paraît loin, si loin que ses maux n’affectent pas au premier chef Français de la métropole qui, pour beaucoup, ainsi que le montreront des historiens comme Raoul Girardet, célèbre auteur de L’idée coloniale en France, ou Benjamin Stora, dont les ouvrages font autorité sur la question, ne se sentent pas concernés au premier chef par l’aventure coloniale.

Il n’en va pas de même pour ceux que l’on nomme les Français d’Algérie, dont beaucoup proviennent du pourtour méditerranéen, d’Espagne, d’Italie et de malte. Cette communauté d’Européens, que l’on appelle les pieds noirs, forme une population de près d’un million d’habitants qui se sent pleinement chez elle en Algérie. D’origine modeste pour l’essentiel, elle se sent d’autant plus enracinée sur une terre qu’elle a contribué à mettre en valeur par l’agriculture notamment que moult pieds noirs ne sont jamais allés en métropole. Vivant à côté des Arabes sans guère se mêler à eux, proximité matinée de paternalisme et parfois de racisme, ils sont dans l’ensemble à leur situation qu’ils ont tendance à considérer comme inhérente à un mode de vie marqué par le fatalisme oriental.

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Des rescapés recherchent les corps de leurs proches pour les inhumer après le massacre de Melouza par le FLN, le 1er juin 1957

Cette inconscience n’est cependant pas partagée par tous. En 1938, un jeune journaliste inconnu du grand public né en Algérie Albert Camus fait un reportage intitulé Misère de la Kabylie qui est publié dans le Journal l’Alger républicain. Il y dénonce l’incurie des pouvoirs publics, la sous-alimentation et l’absence d’écoles, mais aussi une situation humiliante, une forme de mépris inhérent à la situation coloniale, fondée sur une inégalité des droits politiques, puisque la majorité des musulmans n’ont pas accès au droit de vote. Il somme l’État d’agir pour l’établissement d’une société algérienne plus juste, ou Européens et musulmans qui forment une population de huit millions et demi d’habitants, cohabiteraient dignement. Il saura d’autant moins entendu que la guerre éclatant, le problème algérien devient subsidiaire. D’où la surprise des pouvoirs publics quand, le 8 mai 1945, jour de la capitulation de l’Allemagne nazie éclatent les émeutes de Sétif et Guelma dans le Constantinois, durant lesquelles une centaine d’Européens sont massacrés et parfois mutilés.

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Foule aux balcons écoutant le discours du général  de Gaulle, Alger 4 juin 1954

Une tragédie qui va provoquer une répression massive qui aurait fait entre 5 15 000 victimes parmi les musulmans. À l’époque même le Parti communiste français, auquel Albert Camus a appartenu  et qui fait partie avant la guerre du gouvernement du général de Gaulle dénonce en des termes très virulent la rébellion. C’est dire l’idée de l’indépendance n’est pas à l’ordre du jour, même à la gauche de l’échiquier politique! Plus lucide, le général Duval, en charge du maintien de l’ordre dans la région prévient : Je vous est donné la paix pour 19 ans, mais il ne faut pas se leurrer, tout doit changer en Algérie sinon tout recommencera! Parmi les écrivains, peu sentent l’irrémédiable se dessiner. Albert Camus est justement de ceux-là. Il ne cessera, après la guerre, d’évoquer son pays comme étant tout à la fois celui de la joie de vivre et celui tragique de la misère et de l’humiliation.

Dans le roman l’Étranger qui parut en 1942, va le rendre célèbre dans le monde entier, le personnage de Meursault tue un arabe sans en éprouver le moindre remord et dans La Peste (1947), l’épidémie qui ravage Oran peut être interprétée comme une métaphore de la haine entre des hommes que l’idéologie aveugle. Compréhensif à l’égard des premiers mouvements nationalistes algériens, notamment le Mouvement national algérien (MNA) de Messali Hadj fondé en 1954, il ne souscrit pas pour autant à l’idée d’indépendance, car pour lui les Européens qui pour beaucoup, sont des déshérités ayant fui la pauvreté, à l’instar de ses parents, on le droit de vivre dans un pays qu’ils ont contribué à créer.

C’est la relation coloniale qu’il faut abolir, mais comment. C’est ici que les intellectuels, et parmi eux les écrivains, vont se diviser. Pour un certain nombre d’entre eux, dont le romancier et philosophe Jean-Paul Sartre. La situation coloniale n’est pas réformable. Fondée sur l’oppression, elle ne peut qu’engendrer la violence. Au contraire de Camus, Sartre légitime la violence du FLN, qui n’hésite pas à recourir à la terreur contre les civils, qu’ils soient européens ou musulmans. Ainsi le massacre du village de Mélouza, perpétré en mai 1957, ou plus de 300 musulmans censés être proches du Mouvement national pour l’autodétermination (MNA) sont exécutés et mutilés à l’arme blanche par des hommes de l’ALN (Armée de Libération nationale, branche militaire du FLN) pour dissuader les musulmans de s’opposer à sa stratégie ou de collaborer avec la France. Face au terrorisme certains membres de l’armée vont prôner le recours à des formes d’interrogatoires illicites. Les débats dans le monde intellectuel vont alors se focaliser sur la question de la torture. Au début de l’année 1958, paraît la question, récit écrit par un journaliste communiste, Henri Alleg, qui raconte comment a été interrogé par des parachutistes algériens. Pour son action militante en faveur des indépendantistes algériens. Le livre sera saisi et censuré, ce qui provoquera la mobilisation de plusieurs écrivains de renom en sa faveur, parmi lesquels Jean-Paul Sartre, André Malraux et le catholique François Mauriac.

De son côté, Camus, s’il condamne la torture, réprouve tout autant les attentats contre les civils perpétrés par le FLN qui blessent, mutilent et tuent hommes, femmes et enfants. Il accuse en outre les partisans de Sartre de ne pas savoir de quoi ils parlent quand ils font l’éloge de la terreur révolutionnaire. En ce moment, on lance des bombes dans les tramways, d’Alger. Ma mère peut se trouver dans l’un de ces tramways. Si c’est cela Justice, je préfère ma mère, déclare le romancier pour suggérer que la légitimité éventuelle d’un combat ne signifie pas que tous les moyens soient bons pour arriver à ses fins. Simone de Beauvoir et Francis Jeanson, intellectuels proche de Sartre, lequel publie dans la revue Les temps Modernes et soutient matériellement les réseaux des FLN, se déchaînent contre Camus, il est patent que le FLN est une organisation totalitaire qui ne peut que faire du tort à l’Algérie. Ce point de vue est d’ailleurs partagé par François Mauriac, qui prend néanmoins position pour le droit à l’autodétermination des Algériens dans les Blocs notes du magazine l’Express, hebdomadaire ou le grand intellectuel libéral Raymond Aron soutient une position semblable.

Ensemble, Aron, Mauriac mais aussi Malraux apportent leur soutien au général de Gaulle, revenu au pouvoir après la crise du 13 mai 1958 qui a vu des émeutes provoquées à Alger par des Européen qui craignent qu’une IXe République très affaiblie n’abandonne l’Algérie au FLN. François Mauriac, compte sur la Ve République instituée par de Gaulle le 1er janvier 1959 pour instaurer la paix en Algérie et mettre un terme à des méthodes expéditives utilisées par l’armée qui ternissent l’image de la France, notamment à l’étranger. Quant à Camus, qui a obtenu le prix Nobel de littérature en octobre 1957, blessé par les attaques dont il a fait l’objet, il se fait progressivement discret sur la question de l’Algérie.

Sa mort survenue le 4 janvier 1960, va laisser un grand vide, car il était le seul, parmi les écrivains engagés, qui évoquait l’Algérie en connaissance de cause et non à partir de principes idéologiques. Quelques semaine avant de mourir, Camus écrit ses quelques lignes qui en disent long sur son pessimisme quant à l’avenir d’un pays qu’il rêvait multiconfessionnel et tolérant, délivré des excès mortifères des intransigeants des divers camps en présence, qui rêvent d’une Algérie monolithique.

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Les troupes de l’OAS se rassemblant sur la place du forum à Alger après la révolte, avril 1961

De fait, si l’arrivée au pouvoir de De Gaulle provoque de grands espoirs, les musulmans qui ont obtenu le droit de vote ratifient, comme les Européens, la Constitution de la Ve République, elle génère très vite de fortes désillusions. En septembre 1960, des intellectuels regroupés autour de Marguerite Duras signe avec Jean-Paul Sartre et Françoise Sagan, le manifeste des 121, ou 121 intellectuels et écrivains affirment le droit des Français de soutenir le mouvement nationaliste algérien tout en reprochant à de Gaulle de poursuivre la guerre contre celle-ci. En réaction, d’autres intellectuels regroupés autour du romancier Michel Déon, futur membre de l’Académie française et de l’historien Raoul Girardet lancent une pétition accusant ceux-ci de trahir la France, tout en sommant De Gaulle de ne pas reconnaître la légitimité du FLN. De son côté, un autre écrivain Jacques Laurent, fonde la revue l’Esprit public. Y est proclamée la jeunesse de la cause de l’Algérie française, au nom du devoir qui incombe à la France de ne pas abandonner des populations dont elle s’est proclamée responsable depuis plus d’un siècle.

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Après un attentat à l’explosif commis par l’OAS à Alger, mars 1962

Michel Déon, mais aussi le romancier Roger Nimier, chef de file des Hussard soutiennent la vitrine intellectuelle de l’OSA, organisant fondée par le général Salan qui, après avoir supervisé le fameux putsch des généraux contre De Gaulle, Sartre, Malraux et tant d’autres. Quand la guerre d’Algérie s’achève à la suite des accords d’Évian signés le 18 mars 1962, la France se sent soulagée de la menace de la guerre civil, ce d’autant plus que la cause de l’Algérie a divisé profondément les Français en brouillant les clivages politiques traditionnels.

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Embarquement des réfugiés harkis dans le port de Bône, novembre 1962

Depuis l’affaire Dreyfus , les périodes les plus sombres de l’Occupation ou les plus déchirantes de la libération, jamais les écrivains n’avaient autant pris parti. Ce n’est pas de faire son devoir qui est difficile, c’est de la connaître proclame l’adage, François Mauriac, comme en écho, affirmait, en 1961, un point de vue qui est peut-être aujourd’hui le plus proche de la sagesse : Nous avons tous été victimes du mensonge initial selon lequel l’Algérie c’était la France, eh bien non l’Algérie ce n’était pas la France.

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