La Brigade de sapeurs-pompiers de Paris constitue l’une des unités les plus singulières de l’armée française et les plus emblématiques de la capitale. Mobilisée dans la lutte contre les incendies, les catastrophes et dans le secours à la personne, son histoire est liée à celle de l’urbanisme et des grandes mutations sociales de Paris et de sa région.
Le 1 juillet 1810, le prince Karl de Schwarzenberg ambassadeur d’Autriche, organise une grande soirée, à Paris, en l’honneur du mariage de Napoléon 1er avec Marie-Louise, fille de l’empereur d’Autriche. Enfin d’accueillir les 1 500 convives, une structure en bois, reliée au corps du bâtiment principal, a été édifiée dans les jardins de l’hôtel de Montesson. Hélas, cette fastueuse réception tourne à la catastrophe, au cours de la soirée. Les bougies d’un lustre mettent le feu aux tentures et, en quelques minutes, le feu s’étend à l’ensemble du décor, provoquant une panique générale.
Tandis que les six gardes-pompiers en service, gêné par la foule, tentent de sauver les invités et de combattre l’incendie. L’Empereur et de son épouse, entouré par l’ambassadeur et des officiers de la Légion autrichienne, sont évacués sans dommage.
La capitale en proie aux incendies le 24 mai 1871
Devant l’ampleur de la catastrophe qui a coûté la vie à une centaine de personnes. Napoléon ordonne une enquête. Sous la pression de la censure, la presse minimise l’affaire pour éviter tout risque d’incident diplomatique avec l’Autriche et ne pas entacher l’image du régime. Avant même que l’enquête n’ait révélé de nombreuses défaillances du service civil de lutte contre l’incendie, l’’Empereur dissout le corps des gardes-pompiers; une compagnie de sapeurs du génie de la garde impériale est créée, le 10 juillet 1810. Elle reçoit pour mission d’assurer, en cas de sinistre, la sauvegarde des palais impériaux de Paris, Saint-Cloud, Meudon, Rambouillet, Compiègne et Fontainebleau. Un an plus tard, le 18 septembre 1811, un décret impérial fixe les modalités de création d’un bataillon de sapeurs-pompiers à caractère militaire.
Les 576 sapeurs-pompiers, répartis en un état-major et en quatre compagnies, sont chargés spécialement du service des pompes à incendie de la capitale et placés sous les ordres du préfet de police. C’est là que résident, à la fois, l’originalité et l’ambiguïté de l’organisation du service de lutte contre les incendies. Attribuée à l’origine, à un corps civil, sa mission est désormais confiée à un corps militaire, ce qui constitue une exception dans l’histoire de l’armée française et dans celle du service public.
Départ pour le feu, caserne Montmartre 1895-1900
Par ailleurs, son fonctionnement est assuré par le budget de la ville alors qu’il dépend des pouvoirs du préfet de police. En donnant un statut militaire aux sapeurs-pompiers parisiens, la puissance publique s’assurait ainsi de leur loyauté absolue, tout en se garantissant du parfait fonctionnement d’un service public qui participait à la protection des institutions de l’État. Pourtant, les hommes utilisent encore un matériel rudimentaire tels que pompes à bras, tonneaux, haches et cordages qu’ils acheminent à pied sur les lieux des sinistres, ce qui demande une bonne condition physique, les pompiers suivent ainsi un entraînement qui repose sur la pratique de la gymnastique.
Pompe à vapeur vers 1890
L’âge d’or du service d’incendie parisien
Avec l’intégration de huit communes limitrophes en juin 1859, Paris passe de douze à vingt arrondissements et double sa surface. Afin d’assurer la protection d’un territoire plus important, le bataillon est transformé en Régiment de sapeurs-pompiers de Paris. Le 5 décembre 1866; il dépend du ministère de la Guerre tout en restant sous la tutelle du préfet de police pour la mise en œuvre de ses moyens. En 1870, la capitulation du gouvernement face aux Prussiens déclenche l’hostilité d’une partie de la France. Paris est assiégé. Renforcé par plusieurs centaines de sapeurs-pompiers communaux de la banlieue, à la demande du général Trochu, gouverneur militaire de Paris, le régiment s’organise afin de protéger la capitale des bombardements prussiens. Avec l’avènement de la Commune en janvier 1871, Paris est sous la domination des insurgés. Le régiment est démilitarisé le 1 avril pour devenir un corps civils des sapeurs-pompiers de la Commune de Paris. La période insurrectionnelle s’achève à la fin du mois de mai au cours de la Semaine sanglante qui embrasse la capitale.
À l’appel du gouvernement Thiers, de nombreux pompiers venus de l’Eure, de l’Eure-et-Loir, de la Seine inférieure et du Loiret, sont envoyés en renfort pour lutter contre les 222 incendies qui ravagent palais nationaux, monuments publics, églises, théâtres, entrepôts et maisons particulières de Paris. Après la reprise de la ville par les troupes gouvernementales, le régiment reconstitué n’a de cesse de se développer et de s’améliorer. Il devient, au cours du dernier quart du XIXe siècle et de la première décennie du XXe siècle, un modèle d’organisation du service public de lutte contre l’incendie et une référence.
Premier secours et fourgon-pompe Delahaye, 1913
En effet il doit faire face à la transformation et à l’urbanisation de la capitale : Construction de grands immeubles, multiplication d’établissements comme les grands magasins, l’arrivée du gaz, de l’électricité, du métro. C’est l’âge d’or du régiment marqué par le renouvellement des procédures de l’organisation et le développement technologique des matériels.
Les nombreux voyages d’études effectués à partir de 1883 par les officiers du régiment dans les capitales étrangères sont riches en enseignements. Le service d’incendie parisien apparaît mieux organisé et fonctionne avec plus de régularité. Ses moyens d’action sont suffisant performants et adapté aux types d’incendie auxquels les pompiers sont confrontés. Cependant la caserne héritage des biens nationaux de la Révolution, offre des locaux insalubres et inadaptés. L’édification de nouvelles casernes dont celle de Château-Landon et Chaligny, est entreprise. Construites et aménagés selon un cahier des charges précis, elle offre toute promptitude aux départs et permettent aux sapeurs-pompiers de perfectionner leur art et de combattre le feu.
Auto-pompe grande puissance sur les quais de la Seine, vers 1925
À la même époque, il est entrepris une rationalisation de l’organisation des secours parisiens avec l’installation de postes de vigies, palliant le manque de postes en périphérie. L’installation de ce maillage, entre 1880 et 1884, est suivie d’une réorganisation territoriale à laquelle procède le comité de perfectionnement du régiment. Ainsi Paris intra-muros est découpé en vingt-quatre zones de protection, permettant de regrouper les moyens d’actions jusqu’alors disperses en une multitude de petits postes, mais aussi d’harmoniser et de raccourcir les délais d’intervention. A partir de 1885, intervient la modernisation des systèmes d’avertissement : Quarante avertisseurs électriques automatiques sont mis à la disposition des Parisiens. Ces appareils complètent l’extension du réseau de signalisation télégraphique affecté au service d’incendie, établi en 1871 et desservi exclusivement par les sapeurs-pompiers entre les postes et les casernes du régiment. À la fin du XIXe siècle, le régiment entre dans une ère de développement technologique sans précédent.
Adoptée en 1870, la pompe à vapeur permet d’augmenter la pression de l’eau sur les feux mais nécessite un véhicule spéciale d’où l’introduction de la traction hippomobile qui permet aussi de déplacer des échelles de grande dimension. Ces avancées techniques vont contribuer à améliorer la mobilité et la rapidité des services de secours.
Au début du XXe siècle, l’apparition de véhicules motorisés offre aux sapeurs-pompiers parisiens encore d’avantage d’autonomie, de souplesse et de vitesse. Après la mise en service d’engins à propulsion électrique, le service technique du régiment étudie l’adaptation du moteur à explosion aux véhicules. Un plan de transformation du matériel est alors mis en place suivi par une phase d’uniformisation : l’automobile a supplanté tous les autres types de traction. Pendant la Première Guerre mondiale, le régiment renforcé par le rappel de ses réservistes contribue à la défense armée du territoire national de sa capitale. C’est ainsi que 1 211 sapeurs-pompiers rejoignent les unités combattantes sur le front. 227 d’entre eux y perdent la vie et 321 sont blessés. Alors que les hommes restés sur Paris continuent d’assurer la mission de service public qui leur est impartie, plusieurs détachements sont envoyés, entre 1915 et 1918, dans les régions du front afin de renforcer les services d’incendie des villes soumises à des violents bombardements : Reims, Compiègne, Verdun, Soissons, Bar-le-Duc, Châlons-sur-Marne, Dunkerque, Abbeville, Epernay.
Appel des morts au feu, vers 1930
Au sortir de la guerre, le développement industriel et urbain entraîne des sinistres dont le nombre, l’ampleur et la violence s’accroissent considérablement. Suite à l’incendie du magasin du Printemps, le 28 septembre 1921, le régiment intensifie ses moyens de lutte et met en service les premiers engins à grande puissance hydraulique (auto-pompe à grande puissance en 1923). Il entreprend également un effort conséquent en matière de prévention après le doublement du nombre d’établissement répertoriés en quelques années. Enfin, dans un souci d’observation stricte des mesures préventives édictées par la législation, les sapeurs-pompiers parisiens effectuent des visites régulières dans les établissements potentiellement dangereux comme les grands magasins et les théâtres. Au milieu des années vingt, le commandant Cot, médecin chef au régiment, développe le concept de médicalisation des secours dont il pose les principes généraux. Fort de l’expérience sur des champs de bataille de la Grande Guerre. Il propose qu’il soit appliqué, en temps de paix et en milieu urbain, des actions de premiers secours suivies d’une médication précoce, grâce à la présence sur place d’équipes médicales. La voie de ce qui allait devenir quelques années plus tard le secourisme professionnel (1940-1965) était désormais ouvert.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale le régiment. Pour lequel la mission de défense contre l’incendie et de sauvetage a été étendue à l’ensemble du département de la Seine décret du 22 février 1940, participe activement à la protection et à la sauvegarde des populations civiles contre les bombardements aériens. Bien que les sapeurs-pompiers soient étroitement surveillés par la police de protection incendie allemande Feurschutzpolizei nombre d’entre eux s’engagent dans des actions de résistance et ce, jusqu’à la Libération mouvement de résistance régimentaire Sécurité parisienne en 1944.
Au début des années 1950, le régiment composé de quatre bataillons pour 59 centres de secours, maintient une couverture opérationnelle étendue au département de la Seine. Dans un contexte où de nombreux incendies touchent les magasins généraux, entrepôts, gardes meubles, conséquence de la vétusté de ces édifices et d’une réglementation déficiente le régiment engage une vaste entreprise de prévention des risques.
Groupement de résistance sécurité parisienne, août 1944
C’est ainsi que plusieurs milliers d’établissements du département de la Seine sont répertoriés et font l’objet d’un plan d’intervention prenant en compte les risques inhérents à leur activités et à leur situation. De son côté, la commission de sécurité du corps procède à des visites périodiques des établissements recevant du public. Enfin, sont mis en œuvre des principes d’interventions propres à limiter au maximum les effets des incendies par une promptitude des premiers-secours appuyés, en cas de nécessité, par d’importants renforts. Au sein de l’état-major sont créées des sections d’études dédiées à la prévention du feu et à la lutte contre l’incendie. On procède, à ce titre, à des essais grandeur nature aux portes de la capitale pour étudier le comportement des matériaux et des éléments de construction soumis au feu, tout en analysant la propagation des flammes en fonction du potentiel calorifique et de la ventilation.
Parallèlement, une vaste politique de renouvellement et de modernisation du matériel est entreprise. Les ensembles grandes-puissance engin d’incendie équipé de pompe de 2000 litres/minute prouvent leur efficacité et sont des atouts dans la maîtrise des incendies de grande ampleur De même, un ensemble grande-puissance à mousse est mis en service pour intervenir sur les feux d’hydrocarbures ou sur des incendies d’établissements répertoriés présentant des risques particuliers.
Explosion due au gaz dans un immeuble d’habitation à Noisy-Le-Sec décembre 2007
Au début des années soixante, le nombre d’habitants s’accroît en banlieue au détriment de Paris. Les entrepôts et les usines disparaissent progressivement de la capitale pour s’installer en périphérie et créent, par leur densité, des points jugés critiques dans certaines zones. Pour faire face aux risques potentiels qui en résultent, le régiment réorganise la répartition de ses moyens. L’implantation de certains centres de secours est modifiée ainsi que le découpage de plusieurs de ses secteurs d’intervention. Transféré à l’armée du Génie par décret du 2 avril 1965, le régiment devient la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris, le 1er mars 1967. Sa mission de secours et de défense contre l’incendie est étendue l’année suivante aux trois nouveaux départements de la petite Couronne : La Seine- Saint Denis, Le-Val- de Marne et les Hauts-de-Seine.
Feu dans un immeuble rue Vincent Auriol, Paris 26 août 2005
Devenu une unité interdépartementale de service d’incendie et de secours, le corps se réorganise en 1972 avec la suppression des six bataillons d’incendie et la création de trois groupements d’incendie et de secours, chacun assurant la couverture opérationnelle d’un tiers de Paris ainsi que la quasi-totalité d’un département limitrophe. Pour faire face à l’accroissement de l’activité du secours aux victimes, à la multiplication des risques particuliers générés par le développement, et à la complexité des infrastructures urbaines les sapeurs-pompiers de Paris ont dû adapter leurs procédures et leur matériel, tout en renforçant les capacités et l’efficacité de leur personnel.
Secours aux victimes, hiver 2009
Soldat du feu et de la vie, devenu aujourd’hui un généraliste du risque, et plus particulièrement un spécialiste du risque technologique urbain, le sapeur-pompier de Paris restera encore pour bien des décennies fidèle à sa devise Sauver ou périr, au sein d’une unité qui ne cesse de s’adapter aux grands défis de l’évolution des risques technologiques et des mutations sociales du territoire qu’elle défend depuis plus de 200 ans.