La démission du chancelier Otto von Bismarck en 1890 est suivie d’un changement radical dans le jeu diplomatique des grandes puissances européennes. Un double niveau d’alliances se met en place, que la multiplication des crises va consolider. L’assassinat de l’archiduc héritier François Ferdinand, le 28 juin 1914,scelle le sort des puissances européennes qui basculent alors dans la guerre.
Guillaume II l’empereur d’Allemagne
Débarrassé de la tutelle ombrageuse de Bismarck, le nouvel empereur d’Allemagne Guillaume II, entreprend une politique étrangère en tout point contraire à celle du chancelier, qui était marquée par la volonté de respecter les alliés de la Triplice et de maintenir un équilibre européen excluant la France républicaine. Désormais, l’Allemagne recherche une position hégémonique en Europe centrale et l’extension de ses zonez d’influence dans le monde. Cette nouvelle Weltpolitik, rendue officielle en 1896, se traduit notamment par le développement d’une marine de guerre destinée à supplanter la flotte britannique. Ce tournant permet à la France de sortir de vingt longues années d’isolement diplomatique. En 1890, Guillaume II refuse de renouveler le traité de réassurance avec la Russie. Le Tsar se trouve ainsi isolé face à l’Angleterre en Asie centrale et à l’Autriche, dans les Balkans. Il se tourne alors vers la France qui, après avoir recouvré une stabilité politique, ne constitue plus une menace pour les monarchies européennes. Signé le 27 décembre 1893, le traité s’avère être une véritable alliance militaire. Il prévoit que la Russie mobilisera 800 000 hommes si la France est attaquée par l’Italie ou par l’Allemagne.
La France mobilisera quant à elle 1,3 million d’hommes, en cas d’attaque de la Russie par les Empires centraux. Toutes les conditions sont à présent réunies pour qu’un conflit se généralise. En 1898, la France accepte de soutenir les positions russes dans les Balkans, tandis que la Russie défend les revendications françaises sur l’Alsace-Lorraine. Cette alliance marque une rupture majeure dans le concert européen établi en 1815. Le renouveau du système d’alliance européen entraîne aussi un rapprochement de l’Italie et de la France. Le désastre d’Adoua, en Éthiopie, en mars 1896, marque la fin des ambitions coloniales de l’Italie qui recentre alors ses priorités sur les terres irrédentes (Istrie, Dalmatie, Trentin) en territoire autrichien, majoritairement peuplé d’Italiens. Sur le plan économique, la France et l’Italie mettent fin à la guerre douanière qui les opposait depuis 1887 et différents traités commerciaux sont signés. En 1900, la France reconnaît les intérêts italiens en Cyrénaïque (Libye) et l’Italie ceux de la France au Maroc.
Le Tsar Nicolas II avec le président Félix Faure, Paris 1896
Enfin un accord secret de neutralité en cas de conflit est signé le 30 juin 1902. La fragilité de la Triplice est à présent manifeste. Avec l’entente cordiale franco-Anglaise conclue le 8 avril 1904, le système d’alliance européen va s’engager dans un processus qui conduira inéluctablement à la guerre. Paradoxalement, ce rapprochement entre la France et l’Angleterre est favorisé par une crise entre les deux pays, consécutive à l’expédition du capitaine Marchand, du Congo j’jusqu’au haut du Nil, qui provoque de vives tensions. Les Anglais vont jusqu’à organiser des démonstrations de la Royal Navy devant Brest et Bizerte, contraignant Paris à reculer. Clarifiant les contentieux coloniaux africains, cette crise permet, en outre, de fixer les frontières entre le Tchad et le Soudan, plus profondément, avec en toile de fond la montée des nationalismes, elle conduit une véritable prise de conscience, des deux côtés de la Manche, sur l’intérêt d’un rapprochement. Il s’agit pour la France d’isoler la Duplice pour en finir avec le partage colonial et régler la question marocaine.
Face à la menace russe, la Grande-Bretagne s’allie avec le Japon, en 1902, et le rapprochement avec la France constitue une garantie stratégique dans la course aux arguments navals engagée avec Allemagne. Conçu pour être un arrangement colonial sur la question de l’Égypte et du Maroc, l’entente cordiale permet toutefois de parachever le nouveau système d’alliance en Europe. À partir de 1905, une série de crises met à l’épreuve ce dispositif et provoquera son emballement en 1914. La crise de Tanger, et plus généralement la question marocaine inaugure ce cycle de tensions diplomatiques. Depuis 1898, la France renforce progressivement son influence au Maroc. Un prêt français de 63 millions de francs conduit à la mise en tutelle financière du pays. L’Allemagne va exploiter cette situation pour tenter de briser l’entente cordiale, sous prétexte de défendre ses intérêts au Maroc. Une conférence internationale, organisée à L’Algésiras en 1910, donne raison à la France, confrontant la solidité de l’entente. La crise d’Agadir, en 1911, a pour effet de raviver les tensions internationales. En effet pour rétablir l’ordre, des troupes françaises occupent Fez, en violation du traité d’Algésiras. L’Allemagne envoie une canonnière devant la porte d’Agadir, occupé par les Français, et revendique la totalité du Congo en compensation de l’occupation du Maroc par la France.
L’entente cordiale : le roi Edward VII, l’amiral Caillard et des officiers de l’escadre français à Portsmouth, Le petit Journal
La guerre semble imminente, mais l’armée française est encore incomplète et une tempête boursière, orchestrée par le président du conseil français frappe l’Allemagne. Le 4 novembre 1911, un compromis permet à la France de confronter sa position au Maroc, tandis que l’Allemagne reçoit les territoires qu’elle revendiquait entre le Congo et le Cameroun. C’est la fin des conflits coloniaux, mais la guerre devient un des moyens envisagés par les puissances pour régler leurs contentieux. La course aux armements s’accélère. En sommeil depuis dix ans, les tensions balkaniques se réveillent brutalement en 1908, avec la crise bosniaque. Le 5 avril 1908, L’Autriche annexe la Bosnie-Herzégovine qu’elle administre depuis 1878. Privée du soutien de la Russie, affaiblie par la révolution et la défaite face au Japon, la Serbie est mise devant le fait accompli. Si les Empires centraux tirent profit de cette crise, l’Italie, qui revendique la Dalmatie, conclut un accord avec la Russie qui obtient, à son tour des crédits auprès de la France et de l’Angleterre pour se réarmer. Au réveil des Balkans succèdent trois guerres, en deux ans, qui achèvent le démantèlement de l’Empire ottoman. En septembre 1911, l’Italie attaque la Turquie et obtient facilement la Tripolitaine et les îles du Dodécanèse. En 1912, encouragée par la Russie, se constitue la ligue balkanique, alliance militaire entre la Bulgarie et la Serbie, que la Grèce et la Roumanie rejoignent ensuite. En octobre, la ligue déclare la guerre à la Turquie, et obtient une victoire rapide. La conférence internationale de Londres en juin 1913, offre la Thrace et une partie de la Macédoine à la Bulgarie.
Mais la Grèce, la Serbie et la Roumanie s’estiment lésées et déclare la guerre à la Bulgarie qui sera rapidement vaincue. Le traité de Bucarest partage la Macédoine entre la Grèce et la Serbie, cède une partie de la Dobroudja à la Roumanie et crée l’Albanie pour empêcher la Serbie d’accéder à la mer Adriatique. La Turquie et la Bulgarie, vaincues, se rapprochent des puissances centrales. La Serbie, forte de cette succession de victoires, accroît encore ses revendications sur la Bosnie-Herzégovine. Amorcée par l’assassinat de l’archiduc héritier François-Ferdinand et de son épouse le 28 juin 1914, la crise de Sarajevo précipite les puissances européennes dans la guerre. Profondément affligées par ce double meurtre, les autorités autrichiennes posent un ultimatum à la Serbie avec le soutien de l’Allemagne. Encouragé par la Grande-Bretagne, la Serbie rejette les conditions imposées par l’Autriche et propose une médiation internationale. Craignant que d’autres puissances n’interviennent, l’état-major allemand somme l’Autriche de refuser cette solution afin de mettre l’entente à l’épreuve.
Discussion de la note collective à la Turquie lors de la conférence de Londres en janvier 1913
Avec le soutien de la France, la Russie, commence à mobiliser ses troupes, dès le 29 juillet, ce qui conduit l’Allemagne à déclarer la guerre à la Russie, le 1er août. La mobilisation générale est décrétée en France, tandis que la Grande-Bretagne refuse toujours de s’engager. Le 3 août, c’est l’invasion de la Belgique et la déclaration de guerre à la France par l’Allemagne. Le 4 août l’Angleterre déclare la guerre à l’Allemagne, selon la convention de 1839 garantissant la neutralité belge. Ainsi, le système des alliances en Europe, élaboré depuis 1871, débouche sur une guerre qui va devenir mondiale.