Si le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942, est un succès sur le plan militaire, notamment grâce à l’action des résistants, c’est par ailleurs une épreuve politique pour le général de Gaulle auquel les Américains ont préféré le général Giraud, favorable à Vichy.
Le général Eisenhower et l’amiral Cunningham étudient les plans du débarquement
Le débarquement des forces anglaises et américaines au Maroc et en Algérie nom de code Torch, le 8 novembre 1942, est un tournant majeur de la guerre en Europe. Conçu par les Alliés pour reprendre l’initiative à l’ouest après une longue période de succès des puissances de l’Axe et pour ouvrir le second front réclamé par Staline, le principe de l’opération est adopté ente Américains et Anglais le 24 juillet 1942 et le général Eisenhower est désigné, le 14 août, pour le mettre en œuvre. L’objectif est de desserrer l’étau de la Wehrmacht sur l’Armée rouge en fixant Allemands et Italiens sur un autre théâtre d’opération.
Troupes américaines et anglaises devant Alger, le 9 novembre 1942
Préparé très rapidement, le débarquement est conditionné par l’action des résistants, qui doit empêcher les autorités d’Afrique du Nord, fidèle au gouvernement de Vichy, de faire tirer sur les troupes alliées. En effet l’armée française d’Afrique doit défendre le territoire contre quiconque, c’est-à-dire contre toute attaque suivant la doctrine de défense imposée par le général Weygand et reprise par le général Juin. Il faut donc éviter les combats contre les Alliés.
De son côté le général de Gaulle a été tenu à l’écart de l’opération, tant les préventions de Roosevelt sont grandes à son égard. Il faut aussi éviter l’anglophobie latente qui sévit dans l’armée d’Afrique depuis l’affaire de Mers-el-Kébir le 3 juillet 1940 et le rapatriement d’unités ayant combattu en Syrie contre les forces anglo-gaullistes. En outre, l’amiral Darlan bien qu’évincé du pouvoir demeure le commandant en chef de toutes les forces armées françaises, y compris d’Afrique du Nord, lesquelles sont placées sous le commandement du général Juin. C’est dans ce contexte complexe et très conflictuel que l’on doit appréhender le rôle des résistants dans le débarquement. Bien qu’ils soient très minoritaires en Afrique du Nord. Les Américains misent sur leur action pour neutraliser les autorités de Vichy. Ils sont aidés par Robert Murphy que le président Roosevelt a envoyé comme conseiller spécial dès la fin de 1940.
Tract américain distribué lors de l’opération Torch, novembre 1942 (recto-verso)
Le groupe le plus structuré de la résistance, désigné à tort comme le groupe des Cinq en 1945, est formé dès la fin 1940. L’ambition initiale de ces patriotes qui refusent l’armistice est d’aider l’Amérique le jour où elle viendrait nous aider. (José Aboulker). Né de la réunion de plusieurs mouvances ce groupe, qui compte de nombreux juifs rassemble des civils et des militaires de toutes convictions : Gaullistes, partisans de la Révolution nationale, monarchistes. Un groupe s’est formé à Oran, à l’été 1940, autour de l’industriel Roger Carcassonne mécène du groupe et de son frère. À Alger, Henri Aboulker, éminent professeur de médecine, respecté de toutes les communautés, et son fils José, en médecine, antifasciste et gaulliste, sont à l’origine de l’autre groupe. Henri d’Astier de la Vigerie, monarchiste, affecté au 2e bureau de l’état-major d’Oran, frère d’Emmanuel, chef du mouvement de résistance Libération-Sud, et de François, général engagé dans les forces aériennes françaises libres, les rejoint. Le contact est établi avec Jacques Lemaigre-Dubreuil, directeur des huileries Lesieur. Au civil s’adjoignent des militaires : Le colonel Germain Jousse, commandant la place d’Alger, en relation avec les Américains depuis le début de 1941, est rejoint plus tard par le général Mast, commandant la division d’Alger. Le colonel van Hecke, chef des chantiers de jeunesse, le général de Monsabert, commandant la brigade de Blida, ainsi que le colonel Baril, commandant le 29e régiment de tirailleurs algériens, et le colonel Tostain, à Oran, répondent à l’appel, de même que le général Béthouart, camarade de promotion du général de Gaulle à Saint-Cyr, commandant la division de Casablanca, et le colonel Lorber à Bône. Ces patriotes fournissent aux Américains des renseignements sur l’état d’esprit des représentants de Vichy, sur l’activité des commissions allemandes et italiennes d’armistice, sur la fourniture d’armes, de véhicules, de ravitaillement pour les forces de l’Axe en Libye.
Les Américains choisissent le général Giraud, tout auréolé du succès de son évasion d’Allemagne, pour être le chef militaire français à l’issus du débarquement. Contacté en zone sud par Lemaigre-Dubreuil, celui-ci est représenté à Alger par le général Mast, du 19e corps d’armée. Les lieux de débarquement ayant été fixés, le général Eisenhower, qui commande l’opération depuis Gibraltar, envoie son adjoint, le général Clark à Cherchell (Algérie. Le 23 octobre, pour fixer les modalités d’intervention des résistants, tout en éludant la date et les lieux de débarquement et en exagérant l’importance des moyens humains débarqués 500 000 hommes au lieu de 110 000 dont 23 000 Britanniques. Les Américains ont prévu d’armer les résistants mais deux tentatives de livraison sur les côtes algériennes ont échoué en raison du mauvais temps et de la défaillance des liaisons radio. Les risques encourus par l’état-major américain pour se rendre à Cherchell, les commissions allemandes et italiennes d’armistice assurent une surveillance efficace en Afrique du Nord suffisent à montrer l’importance accordée au rôle des résistants pour la réussite du débarquement. Prévenus huit jours avant l’opération, Germain Jousse et Henri D’Astier mettent en œuvre le plan d’action des 400 jeunes volontaires, dirigé par José Aboulker, pour neutraliser les autorités civiles et militaires et les communications à Alger. Jousse à l’idée d’utiliser au profit des résistants, le plan de maintien de l’ordre prévu par les membres du service d’ordre légionnaire (SOL) reposant sur des volontaires de place en cas d’invasion.
Porteur d’un brassard et d’un ordre de mission pour remplacer les postes de garde de tous les centres de commandement et de transmissions, les 400 jeunes résistants doivent occuper sans combat les centres vitaux de la capitale algérienne.
Le message codé Robert arrive! Diffusé sur les ondes anglaises et américaines le 7 novembre, Robert pour Murphy, le conseiller de Roosevelt est bien interprété par le général de Gaulle comme l’imminence du débarquement en Afrique du Nord. Cette annonce le prend tout de même de court. Son chef d’état-major, Pierre Bilotte, rapporte ses fameuses paroles’ He bien l’espère que ces gens de Vichy vont les jeter à la mer. On ne pénètre pas en France par infraction! Le lendemain de Gaulle est convoqué par Churchill, gêné de lui avouer que les Américains ont exclu les Français libres de l’opération. Alléguant la crainte d’un combat fratricide, mais le soir même, de Gaulle se ressaisit et réagit avec grandeur sur les ondes de la BBC en invitant les chefs, les soldats, les fonctionnaires, les colons français d’Afrique du Nord à aider nos alliés! Joignez-vous à eux sans réserves! Ne vous souciez pas des noms ni des formules! Français d’Afrique du Nord, que par vous nous rentrions en ligne d’un bout à l’autre de la Méditerranée. Et voilà la guerre est gagnée grâce à la France! Sur place, le groupe gaulliste Combat de René Capitan, apporte son aide dans la nuit du 8 novembre.
Les résistants occupent presque tous les points stratégiques de la ville et font prisonniers le général Juin et l’amiral Darlan, présent inopinément à Alger au chevet de son fils dont l’état de santé s’est brusquement aggravé. Le colonel Baril favorise le débarquement des unités américaines à Siddi Ferruch, Enfin l’aéroport de Blida est neutralisé par le général de Monsabert qui est aidé par des jeunes gens réunis autour de Jean Bensaïd (Jean Daniel). Grâce à l’action des résistants, les Alliés font leur entrée dans la ville durant l’après-midi. L’amiral Darlan, chef de l’ensemble des forces armées autorise le général Juin, commandant en chef en Afrique du Nord à signer un cessez-le-feu avec le général Ryder, commandant du groupe de débarquement. Mais celui-ci se retranche derrière l’autorité de Pétain, qui donne l’ordre de riposter au Maroc et à Oran. C’est donc cette même ville que le colonel Tostain enfreint les ordres des résistants et prévient le général Boisseau, commandant la division, escomptant son ralliement, n’accordant aucun crédit à ses propos, ce dernier ordonne la riposte, soutenu par le vice-amiral Rioult, qui commande la marine, fait déclencher le feu contre les éléments débarquant à Arzew. La riposte est ordonnée. Au Maroc, le général Noguès qui avertit le vice-amiral Michelier.
C’est un échec. La riposte est ordonnée. Au terme de ces trois jours de combat, le bilan est lourd. Les pertes françaises s’élèvent à 1 346 hommes, 347 en Algérie essentiellement à Oran et 999 au Maroc. Quant aux Américains ils ont perdu 479 hommes et 720 blessés. Au total, on compte 1825 morts et 2717 blessés.
Le général Giraud, passé par Gibraltar au PC d’Eisenhower pour négocier la direction des opérations, n’est pas parvenu à jouer le rôle qu’on attendait de lui à Alger. Dès le 9 novembre, de Gaulle veut envoyer une délégation pour rencontrer Giraud mais doit passé sous les fourches caudines des Américains. Tout à leur logique de guerre, ceux-ci traitent, le 13 novembre, directement avec Darlan, chantre de la collaboration, qui reste la plus haute autorité sur place. Lors de la réunion des Français de Grande-Bretagne à l’Albert Hall de Londres le 11 novembre, de Gaulle rappelle les bases de l’unité, puis le lendemain, il prévient le département d’État que tout arrangement entre la France combattante et le haut-commissaire d’Afrique du Nord est impossible. De leur côté, les organisations de la Résistance demandent que les destins de l’Afrique du Nord française libérée soient au plus tôt, remis entre les mains du général de Gaulle.
Mais la censure américaine s’sévissant, seule Radio-Brazzaville et les postes de Douala et Beyrouth diffusent ce message. Par ailleurs, le gouvernement de Vichy jette le masque en donnant son accord à l’intervention de la Luftwaffe en Tunisie. Les forces germano-italiennes envoient des renforts et font du protectorat français un tremplin pour la reconquête de l’Afrique du Nord. Enfin l’invasion de la zone sud, ce même 11 novembre, par les troupes allemandes met un terme à la parcelle de souveraineté du gouvernement de Vichy.
Entrée des Américains à Casablanca
Si l’opération Torch a été un succès militaire pour les Américains, l’accord qu’ils ont passé avec Darlan constitue une déconvenue politique. Ce choix scandalise l’opinion publique en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Si bien que Roosevelt se voit contraint de qualifier Darlan d’expédient provisoire. Cette situation crée une pétaudière qui révulse encore d’avantage de Gaulle et les chefs des mouvements de résistance en France. La mission du général François d’Astier de la Vigerie, envoyé le 20 décembre par de Gaulle à Alger, s’en ressent : Elle se déroule dans un climat d’intrigues nourries notamment par les ambitions du comte de Paris, qui, qui projette de remplacer l’amiral Darlan et les désillusions du général Giraud prêt à trouver un accord avec les FFL. Dans ce contexte, l’élimination de l’amiral Darlan par le jeune Fernand Bonnier de la Chapelle, le 24 décembre, ne met pas un terme à cet imbroglio.
De Gaulle rencontre le général Giraud à son arrivée à Alger, le 30 mai 1943, pour présider le CFLN
Maîtres du jeu, les Américains imposent à Giraud, qui fait d’Alger la capitale d’un vichyste sous protectorat américain les lois de la Révolution nationale étant maintenues et retardent l’accord avec de Gaulle. Pourtant, la France libre étend son empire territorial à Madagascar, puis à la Réunion et enfin à Djibouti. L’autre conséquence surprenante du débarquement est d’avoir ouvert en Afrique du Nord un réservoir d’hommes dont les Forces français libres ont largement profité dans le bras de fer avec les giraudistes lors de la campagne de Tunisie.
Le débarquement a été perçu tout autrement par les nationalistes d’Afrique du Nord qui considèrent que les vies de leurs camarades marocains ont été sacrifiées inutilement par les ordres de riposte des proconsuls de Vichy. Messali Hadj, chef du parti du peuple algérien, depuis sa prison ou il a été incarcéré, synthétise leur état d’esprit : C’est la première grande défaite de l’armée française coloniale depuis 1830. À cet égard aussi les Américains font figure de libérateurs et c’est à eux que la nationaliste algérien Ferhat Abbas remet, le 190 février 1943, le manifeste du peuple algérien réclamant l’égalité des droits et plus d’autonomie. Les querelles franco-françaises n’ont évidemment pas à contribué à rehausser le prestige de la France et les fêlures entre les communautés s’accroissent irrémédiablement.
Cette succession d’événements accélère l’institutionnalisation de la Résistance sous les ordres de De Gaulle. Son délégué auprès de la Résistance en France, Jean Moulin, met sur pied le Conseil de la Résistance en y intégrant mouvements partis et syndicats. Enfin, l’opinion publique française, déjà bouleversée par les rafles de Juifs de l’été 1942, est définitivement acquise aux Alliés. Dorénavant, les ponts sont coupés avec les autorités de Vichy et la métropole.
Tract reproduisant le texte de l’ordonnance du 3 juin 1943 créant le CFLN
La création du Comité de la Libération nationale (CFLN) le 3 juin 1943, organisme bicéphale, porte la marque du général de Gaulle qui apparaît déjà comme le patron. En trois mois, il s’impose grâce aux gaullistes du CFLN, face à un Giraud dénué de sens politique. En octobre 1943, après avoir liquidé toute les lois de Vichy en Algérie, le général de Gaulle, à l’approche du premier anniversaire du 8 novembre 1942, fait Compagnon de la Libération pour leur aide aux Alliés, les résistants José Aboulker, Henri d’Astier, Germain Jousse et Jean Dreyfus, tué lors de l’opération. Alfred Pillafort, autres victimes, a été promu Compagnon, à titre posthume, en mars 1943, puis Roger Carcassonne, en novembre 1945. Il souligne ainsi l’importance de cette résistance métropolitaine, l’union dans la France combattante. L’attribution de six croix de Compagnon de la Libération est un geste fort et exceptionnel.