Initiée par des missionnaires et poursuivie par des commerçants et des militaires, l’implantation des Français au Viêtnam se fit au coup par coup, Jusqu’au XIXe siècle, ils révèlent des Indes et de la Chine. Faute de mieux, une fois installés sur la vieille terre du Dai Viet, ils le baptisent Indochine.
Conquête du Tonkin : Siège de Tuyên Quang contre les Chinois
La très longue histoire du Viêtnam se confond pendant des siècles avec celle de la Chine. Venus du sud de cet empire à la fin du IIIe siècle avant J.C, les premières populations Viêt s’installent au nord de l’actuel Viêtnam et n’auront de cesse de se libérer de la tutelle du puissant voisin. Ainsi, le premier millénaire est-il marqué par des batailles légendaires entre Vietnamiens et chinois, période qui voit émerger des grandes dynasties en même temps que ce constitue un réel sentiment national. Une fois leur pouvoir établi et reconnu par des liens de vassalité avec la Chine, les souverains du Pays Viêt entreprennent l’occupation progressive de toute la péninsule, une marche vers le sud connue sous le nom de Nam Tien.
Missionnaire
C’est donc à un royaume marqué par ses victoires contre la Chine, doté d’un pouvoir central, d’une administration territoriale, d’une législation reconnue et d’un mode d’enseignement fondé sur des valeurs culturelles partagées, que les missionnaires et bientôt, les conquérants français, entendent apporter les bienfaits de leur civilisation.
Ainsi débute l’aventure des Jésuites au Viêtnam qui, chassés du Japon à partir de 1612, cherchent d’autres terrains de mission en Asie. Caché à bord des rares navires portugais qui commercent avec le royaume d’An Nam, quelques prêtres, débarquent en Cochinchine, puis au Tonkin. Imprégnées des vieux principes confucéens, les autorités mandarinales tolèrent localement leur apostolat, mais de plus en plus inquiètes devant les milliers de conversions qu’il suscite, elles décident, vers 1628, de les expulser. Parmi eux, Alexandre de Rhodes. Très actif il a créé le quôc-ngu, alphabet romanisé et phonétique de la langue vietnamienne, jusqu’alors fondée sur les idéogrammes chinois. En 1649, il vient plaider, à Rome, pour l’envoi dans ces pays d’évêques qui auraient la charge de promouvoir un clergé indigène, capable de survivre aux persécutions. La papauté, qui cherche à se libérer du vieux monopole de l’Espagne et du Portugal sur les missions le dirige vers la France ou de nombreuses associations entendent participer à l’œuvre missionnaire. Une action qui finit par porter ses fruits avec la fondation, en 1658, du séminaire des Missions étrangères de Paris, dont les trois premiers vicaires apostoliques parviennent à s’implanter dans ce qu’on désigne alors comme la Cochinchine et le Tonkin.
Le gouverneur (Tong Doc) d’Hanoï et sa suite vers 1884
Forts des dizaines de milliers de communautés qu’ils animent, les prêtres vont, à peu à peu participer à la vie politique et économique. Ainsi en 1787, Pigneaux de Béhaine, vicaire de Cochinchine, soutient le prince Nguyen Anh, de la dynastie des Nguyen, dans les combats qui l’opposent aux rebelles Tay Son. Un traité est même signé avec Loui XVI et une aide militaire accordée. La Révolution française enterrera ces relations diplomatiques; Celle-ci aura pourtant permis à Nguyen Anh de monter sur le trône impérial sous le nom de Gia Long, en 1802. Après avoir reconquis les provinces du Centre et du Nord, ce dernier proclame l’avènement du Viêtnam. Il édicte, en 1815, un code qui servira de fondement politique et juridique à ses successeurs, lesquels supporteront de moins en moins le rôle que prétendent jouet les missionnaires français. Face à la pénétration occidentale en Asie, en particulier des Anglais en Inde puis en Chine, les différents souverains vietnamiens se rapprochent de leur suzerain chinois et ordonnent la persécution des catholiques. Un édit de 1836 décrète La mise à mort de tous prêtres européens capturé à l’intérieur du pays.
Affiche patriotique 1885
Consolidés dans leur foi par la perspective du martyre et soutenus par un renouveau certain de l’Église en Europe, les chrétiens lancent des appels de plus en plus pressants à la France. Malgré la réticence des gouvernements. Ils vont finir par éveiller l’intérêt des escadres navales qui sillonnent au large des côtes d’Asie et, à partir de 1852, l’attention de l’impératrice Eugénie, épouse de l’empereur Napoléon III et protectrice des missions.
La France au secours des missions
Ayant trouvé leur justification morale avec les massacres de chrétiens, les canonnades de la Marine française devant Tourane, au Centre Annam en 1856, vont permettre à Napoléon III de développer ses ambitions dans cette région du monde. Et ce pour trois raisons. Il s’agit premièrement de coller à l’Angleterre en Extrême-Orient sur le plan diplomatique et commercial, de conforter son puissant électorat catholique, et enfin de hisser haut le pavillon français. Mais c’est sans réelles instructions de paris que, de redresseurs de torts, les amiraux vont se muer en conquérants. En 1858, les flottes françaises et britanniques s’emparent des forts de Takou en Chine du Nord; au retour, l’amiral Rigault de Genouilly occupe brièvement la baie de Tourane. L’année suivante, il prend pied à Saïgon.
Dès lors, les opérations militaires s’enchaînent malgré les tentatives de négocier de l’empereur Tu Duc. Mais ce que les religieux annonçaient comme une courte campagne dans un pays barbare et déliquescent, va se heurter à un réel mouvement de résistance patriotique. En 1861, après avoir mis à sac Pékin, le corps expéditionnaire de l’amiral Charner investit la Cochinchine, au sud de la péninsule, avec la ferme intention de s’y établir. Le 5 juin 1862, son successeur, l’amiral Bonard, négocie les termes d’un traité par lequel les trois provinces orientales de la Cochinchine seraient cédées à la France en toute souveraineté.
Chromolithographie illustrant le traité de protectorat, vers 1885
Menacé par une révolte au Tonkin, tiraillé entre différents clans à la cour et incapable de coordonner l’action de ses partisans sur le terrain, l’Empereur Tu Duc le paraphe en 1863. Au même moment, la France fait du Cambodge un protectorat. Enfin en 1867, l’amiral de la Grandière finit d’annexer tout le sud du Viêtnam, qui devient une colonie. De nombreux villages se sont ralliés, lassés par la guerre et désorientés par l’attitude ambiguë du souverain, mais il faudra encore plusieurs années aux troupes de marine pour pacifier des localités que mandarins, lettrés et paysans ont érigées en foyers de résistance. Le coût est lourd : Des dizaines de milliers de victimes du côté vietnamien et, pour les Français, deux cents millions de franc-or et deux milles morts, sans compter ceux des troupes supplétives locales, souvent catholiques.
Un rêve de Chine
Alors que la France se remet à peine de sa défaite face à l’Allemagne en 1870, en Cochinchine, militaires, missionnaires et commerçants sont bien décidés à étendre la conquête au nord. Plusieurs facteurs les y encouragent : L’incapacité de l’empereur d’Annam à réduire les bandes chinoises qui écument la frontière, la volonté de renforcer leur implantation et surtout le désir d’accéder directement au cœur de la Chine avant les Anglais. Avec le percement du canal de Suez, de nouveaux horizons s’ouvrent à une colonie exsangue. Deux grands fleuves, le Mékong et le fleuve Rouge, qui ont leur sources au Tibet et leurs estuaires au sud et au nord du Viêtnam, fascinent particulièrement les explorateurs français qui pensent trouver là des voies d’accès directes à l’Empire du Milieu, en 1868, partie du Cambodge, la mission Doudart de L’agrée révèle que le cours supérieur du Mékong est impénétrable.
La mort de Francis Garnier tué par les Pavillons noirs lors d’une embuscade. Gravure de Castelli, 1878
Au Yunnan chinois, son adjoint, le lieutenant de vaisseau Francis Garnier, croise le commerçant Jean Dupuis qui prétend, lui avoir parcouru un fleuve Rouge sans obstacles. Ces deux aventuriers, qui s’imaginent avoir enfin trouvé la vie de pénétration idéale, vont sceller le destin de la colonisation. En 1872, contre l’avis du gouvernement mais soutenu par un lobby colonial naissant, Dupuis s’installe à Hanoï, capitale du Tonkin, berceau de la civilisation vietnamienne. L’amiral Dupré, gouverneur général de la Cochinchine, tout en tenant un discours d’apaisement avec Paris et Hué, trouve là prétexte à intervention. Il envoie Garnier à Hanoï pour négocier le départ de Dupuis en échange de l’ouverture du fleuve Rouge au commerce français. À peine débarqué, l’officier de marine s’allie à Dupuis et s’empare de la citadelle avec une poignée d’hommes. Grisé par ses premiers succès, le 22 décembre 1873, Garnier se jette presque seul dans une embuscade tendue par des Pavillons noirs chinois alliés aux troupes impériales. Sa décapitation, à l’âge de 34 ans, fera de lui un héros de l’épopée coloniale.
Deux symboles de la colonisation
À Bas Dinh, en janvier 1887, il sera contraint de mener un long siège dirigé par le futur maréchal Joffre avant de réduire les 3000 défenseurs. À Paris, conscients des difficultés que rencontre l’armée, les parlementaires républicains ont décidé de confier la colonie au pouvoir civil, Paul Bert nommé en 1886, entreprend de mener une politique indigène, s’appuyant sur les masses paysannes contre le mandarinat. Il faut administrer aristocratiquement l’Annam, t démocratiquement le Tonkin, déclare ce député anticlérical, reprenant ainsi la doctrine des missionnaires. Bien que de nombreux secteurs demeurent insoumis, l’administration française se met peu à peu en place et, en octobre 1887, est créée l’Union indochinoise.
Militaires français et soldats indigènes dans le Tonkin, vers 1902-1905
Dirigée par un gouverneur général installé à Saïgon, elle englobe la colonie Cochinchine, les protectorats d’Annam, du Tonkin, du Cambodge et du Laos. Une Indochine, longtemps considérée comme le joyau de l’Empire colonial français et qui sera au cœur de l’exposition coloniale internationale de Vincennes de 1931. À l’exception de quelques esprits originaux, les coloniaux vont avoir tendance à nier l’existence d’un fait national vietnamien aussi ancien que légitime aux yeux des populations. Ce faisant, ils vont minimiser les multiples mouvements de résistance ou tentatives de lutte armée qui jalonnent l’histoire de leur colonisation, préférant y voir les séquelles d’une piraterie traditionnelle. Freinant le développement économique et la prospérité qu’attendent les indigènes.
La rue Catinat à Saïgon en 1932
Ces derniers, globalement qualifiés d’Annamites, s’ils seront nombreux à mesurer les enjeux de cette inéluctable modernisation, le seront tout autant à quêter l’occasion qui leur permettra de conquérir leur indépendance. Celle-ci surviendra à la suite du 9 mars 1945, lorsque les occupants japonais jettent à bas l’administration coloniale, ouvrant aux nationalistes vietnamiens en particulier aux communistes regroupés derrière Hô Chi Minh, les voies du pouvoir.
La rue des Pavillons noirs à Hanoï, carte postale
De la guerre contre les pirates, terme dont certains rapports affublent encore les bandes nationalistes en 1945-1946, la France passe à la guerre contre le Vietminh sans toujours prendre conscience du fait qu’il s’agit, pour nombre de patriotes vietnamiens, des suites d’un combat mené depuis les premiers jours de la conquête.