DE GAULLE EN ALGÉRIE

Membre du comité scientifique qui a animé le colloque sur De Gaulle et l’Algérie, organisé par la DMPA aux Invalides le 9 et 19 mars 2012 derniers. L’historien Maurice Vaïsse fait la synthèse des principales réflexions des participants sur le mystère algérien du Général.

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Le général de Gaulle lors de son discours au balcon du gouverneur général à Alger le 4 juin 1958

Cinquante-six ans après l’indépendance de l’Algérie, on pouvait raisonnablement espérer que des questions aussi douloureuses que celles du 8 mai 1945 ayant trait aux émeutes de Sétif et Guelma, au drame des harkis ou à celui des pieds noirs seraient abordées sereinement. Tel fut le pari, réussi de ce colloque ou sont intervenus des chercheurs confirmés, français et étrangers, en particulier algériens, réunis grâce au concours du comité scientifique composé de Georgette Elgey, Chantal Morelle, Jacques Fréneaux, Jean-Pierre Rioux, Benjamin Stora et moi-même Maurice Vaïsse. Que ressort-il de ces contributions dont les historiens du comité scientifique ont été partie prenante. D’abord un constat. Il est clair que pour un homme comme de Gaulle, dont les références historiques sont marquées par la Première Guerre mondiale et le combat pour la défense du territoire, la Seconde Guerre mondiale fut une révélation. La France n’était pas seule, l’Empire constituait un facteur essentiel de sa renaissance et de sa reconquête. Ce contexte inédit, ou l’Algérie devient la plate-forme idéale pour la libération du territoire national, explique que de Gaulle ne sera guère enclin, dans un premier temps, à remettre en cause la présence française. Ainsi, les émeutes dans le Constantinois, en 1945, lui apparaissent bien plus comme des manifestations suscitées par des manipulations venues de l’étranger que comme révélant un problème de fond. Entre temps, de Gaulle a ressenti la réserve des Français d’Algérien plutôt favorable au régime de Vichy, mais il a aussi constaté la ferveur avec laquelle ces Africains (Français d’origine et musulmans confondus) avaient à cœur de libérer le territoire français.

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Le général de Gaulle en visite à Aziz et au poste de Souaghi le 6 mars 1960

Le mystère de Gaulle réside donc dans la question du projet gaullien pour l’Algérie. Quand il revient au pouvoir, sait-il la conviction que l’indépendance est inévitable. Mais pourquoi alors avoir attendu quatre ans pour mettre fin à la guerre. À ce sujet, ce colloque apporte des éclairages nouveaux et instructifs. Première évidence : On a souvent décrit de Gaulle comme un homme seul, décidant de tout, or cette affirmation doit être relativisée. Son entourage politique jouait très probablement un rôle considérable. Non seulement à l’Élysée, notamment du fait de l’influence d’hommes comme Bernard Tricot, le conseiller pour les affaires algériennes mais aussi Matignon. À ce sujet, le choix du général de Gaulle  de nommer Michel Debré Premier ministre en 1959 et par ailleurs énigmatique. Si de Gaulle voulait l’indépendance de l’Algérie, pourquoi avoir promu comme chef du gouvernement l’ancien directeur du Courrier de la colère, journal que Michel Debré avait transformé, sous la IVe République, en tribune militante en faveur de l’Algérie française.

Deuxième évidence : On imagine de Gaulle, non seulement décidant de tout, mais maître de tout, doter d’un pouvoir absolu. Or, c’est le contraire qui est vrai. Si l’on en croit ses archives personnelles, déjà publiées en partie dans les lettres, notes et carnets, on sait que les injustices commises en Algérie n’ont pas cessé dès le retour du Général au pouvoir. Pire celui-ci s’est trouvé confronté à des oppositions considérables. Notamment en métropole, de la part des partisans de l’Algérie française et de ceux de la Paix en Algérie, mais aussi de la part des Français d’Algérie qui montrés du doigt comme les empêcheurs de paix, le stigmatiseront du temps de l’OAS. Il y a enfin les oppositions provenant de l’armée et de la pression internationale. Dans une telle guerre, le combat n’a pas lieu seulement sur le terrain, mais aussi dans les esprits et les enceintes internationales, notamment celle de l’ONU.

La parole du Général, souvent ambiguë, est selon le cas, amplifiée ou tronquée par certains éléments d’une armée bien décidé à ne pas se laisser arracher sa victoire sur le terrain. Pour les militaires, toute démarche politique doit être exclue avant le cessez-le-feu; tandis que pour de Gaulle la solution du problème algérien ne peut être exclusivement militaire. D’où ses différentes initiatives, qui le mettent-à-faux vis-à-vis des chefs de l’armée qui se sont engagés à assurer la présence française en  Algérie. La confrontation est donc à terme inévitable.

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Le général de Gaulle en visite dans la région d’Alger après le putsch des généraux en avril 1961

Mais il convient de préciser que la plus grande partie de l’armée n’est pas engagée politiquement en faveur de l’Algérie française. Elle se trouve plus proche de l’opinion métropolitaine. Sur le plan international, enfin, l’attitude des supers grands que sont les États-Unis et l’URSS a été mise en exergue par les intervenants. Concernant les Américains, en particulier, qui souhaitaient que l’Algérie accède à l’indépendance, différentes études ont tendu à démontrer l’importance de l’influence de ce pays sur la politique algérienne de la France. Toutefois, si cette action est indéniable sous la IVe République et aboutit d’ailleurs à sa chute, elle est plus problématique du temps de De Gaulle.

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Affiche en faveur de la paix au moment des accords d’Evian, Alger, mars 1962

Troisième évidence  mise en exergue par le colloque : La volonté permanente de De Gaulle de trouver une solution politique, soit par des négociations, soit par la création d’une troisième force politique qui, en Algérie, puisse se démarquer des jusqu’au-boutistes des deux camps. De ce point de vue, le général De gaulle privilégie le contact direct avec les nationalistes algériens, qui sera constamment réitéré soit par des émissaires, soit à travers ses propres discours, Souvenons-nous, par exemple de l’extraordinaire affaire Si Salab nationaliste algérien que De Gaulle va rencontrer en 1960 et qui en contrario de la ligne dure du FLN, était favorable à la paix des braves. En outre, quand commencent les vraies négociations à Evian, De Gaulle va les suivre pas à pas et harceler les négociateurs. Il était de plus en plus impatient d’aboutir, et ce, au prix de concessions qui peuvent nous paraître exorbitantes. En fin de compte, pourquoi à-t-il été difficile d’en finir. Parce que le FLN, puis le GPRA (gouvernement provisoire) de la République algérienne sont hésitants et divisés, ce que révèlent les tiraillements au sein de l’ALN (Armée de libérationale) au cours de passionnants débats, le docteur Chawki Mostefaï a raconté  que, représentant du GPRA à Rabat, il a demandé à l’ethnologue français vivant en Algérie, Germaine Tillion, qui à l’instar de Camus, refusait le terrorisme d’où qu’il vienne, d’expliquer à de Gaulle que plus le temps passait plus le courant radical risquait de se renforcer au sein du mouvement nationaliste algérien.

Et qu’à Ferhat Abbas  allaient succéder des dirigeants intransigeants, ce qui ailleurs fut le cas. En outre, sur la question du Sahara, les dirigeants algériens se méfiaient de leur frère marocain et tunisien qui aurait pu être tentés d’entrer dans le jeu gaullien d’une coopération des richesses sahariennes.

Quatrième évidence rappelée au cours de ce colloque : Le poids du temps. Aboutir à une solution négociée apparaît tellement difficile que les mois passent, plus De Gaulle s’impatiente, le général Challe veut aller jusqu’au bout de son plan de pacification qui met l’ALN à genoux. De son côté, Michel Debré souhaite disposer de plus de temps pour mettre en place une troisième force. Mais le GPRA esquive toute vraie négociation. Les espoirs de paix s’évanouissent alors et de Gaulle qui souhaite remettre la France au premier rang en Europe, lance son projet d’Europe politique, fondée sur un axe franco-allemand.

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Départ pour la France, Alger, avril 1962

Dans ce contexte, que pèsent les pieds noirs et les harkis. L’impuissance de l’État face aux exactions terroristes, l’insuffisance de l’accueil des réfugiés en métropole ou ce qui a pu apparaître comme de la négligence face à un tel traumatisme historique, suscitent une rancune obstinée qui perdure malgré les années, ce qui explique aussi la difficulté de réconcilier les mémoires au sujet de la politique algérienne du général de Gaulle.

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