Le massacre d’Oradour-sur-Glane en juin 1944 642 habitants du village par la division SS Das Reich. Le présent article a pour but de remettre en perspective les événements des mois qui ont précédé la Libération. Ainsi que l’engrenage répressif qui s’est traduit par un déchaînement de violence inouï à l’encontre des populations.
Dessin représentant les pendaisons de Tulle
Contrairement aux théâtres d’opérations à l’Est et dans les Balkans, les territoires occupés à l’Ouest ont longtemps présenté un caractère relativement paisible pour l’occupant. Les activités de résistances s’sont longtemps manifestées de manière souterraine sous forme de renseignement, de propagande et de filières d’évasion pour les prisonniers de guerre et les fugitifs. Les quelques assassinats et attentats retentissants (l’aspirant Morser à Paris, le Feldkommandant Hotz à Nantes, le déraillement d’Arian, ect.) ont aussitôt provoqué une violente répression qui atout particulièrement visé les milieux communistes et Juifs. Cette disproportion entre les coups portés et les représailles engendrées a, par la suite, conduit les groupes de résistance à privilégier l’élimination préventive des ressortissants français accusés de collaborer avec l’ennemi.
L’action armée est donc longtemps demeurée très limité. Si des réfractaires au travail obligatoire ont bien rejoint le maquis, on est très loin de l’afflux souvent évoqué : À peine 10% des insoumis l’on fait à l’échelle du pays, mais avec des disparités parfois régionales forte de 35% en Dordogne. Surtout l’armement faisait défaut :Les armes, les munitions et les explosifs seront massivement parachutés qu’après le débarquement allié en Normandie, avec des pics de largages en juillet et août. Paradoxalement, davantage de containers seront parachutés en septembre 1944 qu’au mois de juin précédent. C’est véritablement à partir de l’automne 1943 que le commandement allemand commence à mesurer la menace croissante, directement dirigée contre ses personnels et ses lignes de communication. Les forces de maintien de l’ordre françaises, aux ordres de Vichy et jusqu’alors seules engagées dans la répression, ne dispose pas de la capacité et de moins en moins de l’énergie pour contenir les actions de plus en plus audacieuses des maquis. Les détachements policiers allemands n’ont eux-mêmes guère les moyens de réduire cette opposition. Le commandement militaire allemand en France entreprend dès lors une série d’opérations militaires de grande ampleur au début de 1944, tant en Haute-Savoie, (Les Glières) qu’en Dordogne, Corrèze et Haute-Vienne (opération de la division Brehmer).
Village en ruines d’Oradour-sur-Glane
Parallèlement, vont se multiplier d’autres opérations de répression limitées dans le temps et l’espace ainsi que par les effectifs engagés. Elles n’en seront pas moins meurtrières, illustrant la radicalisation de la répression : Plusieurs centaines de terroristes, réels ou supposés, sont sommairement exécutés en avril et mai 1944, plusieurs milliers d’autres sont capturés. Le saut qualitatif se produit toutefois dans les tous premiers jours de juin 1944, avant même le débarquement en Normandie, sous la forme d’actions insurrectionnelles menées dans les régions de Clermont-Ferrand et de Limoges. Cependant, l’offensive alliée sur le continent change radicalement la donne : Non seulement les sabotages se multiplient sur tout le territoire, mais le foyer insurrectionnel dans le massif central et le Limousin est désormais situé derrière le nouveau front qui s’est ouvert à l’ouest. Le fait est particulièrement inquiétant pour le commandement allemand qui ne dispose que d’un nombre relativement faible de troupes pour contrôler les territoires de l’ancienne zone non occupée.
Une mission de répression à part entière
Face au péril, le commandement allemand à l’ouest décide, le 7 juin, de frapper un grand coup avant que les maquisards n’en viennent à proclamer leur propre république, Des efforts assez considérables sont mené pour coordonner la riposte entre les différents services de commandant à l’ouest (en charge des troupes opérationnelles) du commandant militaire en France en charge de la sécurité et du maintien de l’ordre, enfin le chef de la SS et de la police en France. Le 7 juin, ce sont clairement les bureaux opérations et contre-espionnage du commandant à l’ouest qui donnent à l’opération de répression toute son envergure. Au fil des heures, les forces prévues pour être engagées contre les maquis vont être progressivement étoffées. Seul un régiment de sécurité et le groupe de reconnaissance de la division Das Reich étaient ainsi prévus en fin de matinée. En début de soirée, à l’annonce que la situation est effrayante à Tulle, il est finalement décidé d’y engager la 189e division de réserve (PC à Clermont-Ferrand) et tous les éléments mobiles de la 2e division blindée SS Das Reich (PC à Montauban). Le bombardement de la ville de Saint-Amand-Montrond annoncée comme étant aux mains du maquis, est un temps envisagé avant d’être écarté. Ordre néanmoins donné de lancer dès le 8 juin une opération contre la ville en guise d’intimidation (abschreckung), avant le déclenchement de l’opération dans le Cantal.
Enfin le chef d’état-major du commandant à l’ouest allemand est conscient que la vitesse est un facteur capital pour enrayer l’insurrection en cours. À rebours d’une version longtemps colportée, cette opération s’inscrit donc dans le cadre exclusif d’une mission de répression des bandes, des groupes de résistance et autres terroristes (selon la terminologie allemande de l’époque). Autrement dit, la division SS n’a pas été retardée dans le Limousin par les maquisards alors qu’elle se dirigeait vers le front de Normandie, puisque sa mission le 7 juin était au contraire de les combattre, Au demeurant, seuls les éléments les plus mobiles de la division Das Reich ont été engagés dans l’opération visant à dégager les régions de Tulle et Limoges, soit un peu plus de la moitié de ses effectifs (environ 10 000 hommes sur 18 000). L’un des bataillons demeuré à l’arrière allait d’ailleurs être engagé dans les Pyrénées, se rendant coupable d’une série d’exactions, notamment à Marsoulas et Mazères-sur-Salat. El c’est seulement le 9 juins, vers midi, que la division SS a reçu l’ordre de faire mouvement vers le front de Normandie à partir du 11 du mois.
Une volonté de carnage
Heinz Lammerding (à droite) sur la photo à Thouars, le 10 avril 1944
La journée du 7 juin a été celle de la mission. Le 8 sera celle des consignes. Un appel téléphonique du général d’armée Jold, chef de l’état-major opérationnel de la Wehrmacht, va en effet largement contribuer à radicaliser l’opération de répression. Relayant sans doute les critiques d’Hitler dont il est le plus proche conseiller militaire, il va reprocher en termes énergiques à l’état-major du commandant à l’ouest sa pusillanimité dans le Massif central exigeant de lui d’intervenir par les moyens les plus sévères et les plus sanglants. Et de poursuivre : Depuis des semaines figurent dans les rapports du commandant militaire en France, 1 terroriste abattu, 35 capturés. Ce devrait être l’inverse; 35 exécutés 1 capturé. Cet appel en milieu de journée, le 8 juin va sceller les conditions dans lesquelles se déroulera l’opération. Se sachant lui-même étroitement contrôlé, l’état-major du commandant à l’ouest répercute cette directive par écrit le jour même, récusant par avance tout l’idée de demi-succès et prônant les mesures les plus sévères pour frapper les maquis, mais aussi pour intimider les habitants, afin que leur passe une fois pour toute l’envie d’accueillir les groupes de résistants. En souhaitant que ces opérations servent d’avertissement à l’ensemble de la population, il justifiait l’extrême brutalité de l’engagement par la volonté de rétablir au plus vite l’ordre, et ainsi éviter de plus lourdes pertes dans les rangs des troupes allemandes et de la population en cas de prolongement de l’insurrection.
La division SS Da Reich, un organe d’exécution de la terreur
La discipline et l’obéissance sont certes deux vertus cardinales sur lesquelles repose l’organisation militaire. Reste que dans l’accomplissement d’une même mission, les exécutants peuvent adopter des comportements diamétralement différents. Dans le cas de la division SS Das Reich, de telles consignes valaient en fait quitus pour la mise en œuvre de sa politique répressive expérimentée au cour des dix premiers mois d’engagement sur le front de l’Est. Le mot d’ordre en cas d’engagement contre les partisans était alors qu’il valait mieux mille Russes morts en trop qu’un seul en moins. En d’autres termes, la simple suspicion tenait lieu de culpabilité et justifiait l’exécution. Quoiqu’aveugle, cette répression était contrôlée, précisément pour éviter les initiatives individuelles et maintenir la discipline de la troupe. Aussi l’ordre d’exécution devait relever habituellement au moins du chef de compagnie. De son côté, le nouveau divisionnaire, Heinz Lammerding, partageait cette approche et avait lui-même coordonné la lutte anti-partisans sur les arrières du front de l’Est pendant quelques mois en 1943. Affranchi du carcan de l’administration militaire allemande en France qui lui reprochait en mai 1944 les excès de ses troupes, il pouvait dès lors appliquer les mesures qu’il avait suggérées le 5 juin dans un mémorandum ou il préconisait la pendaison comme peine de mort infâmante.
En fait, dès le 8 juin, tous les éléments étaient réunis pour que les exactions devenue si banales à l’est soient appliquées dans le Limousin : Une mission de répression, des consignes de violence, une large marge de manœuvre accordée aux unités engagées sur place, enfin un encadrement SS prêt à exécuter la mission de manière radicale. La pendaison de 99 otages et 8 habitants tués à Tulle et le massacre de 642 habitants à Oradour-sur-Glane, parmi d’autres exactions perpétrées dans le Sud-Ouest par la division sont donc l’aboutissement d’un engrenage implacable.
Mise en perspective des crimes de guerre allemands en France
L’idéologie nazie n’est certes pas étrangère à ces crimes de guerre, mais en faire la cause unique serait très réducteur. Comme l’a démontré Peter Lieb dans son étude sur les pratiques de guerre allemandes en France pendant la Seconde Guerre mondiale, quatre facteurs ont été chacun à des degrés divers, déterminants au sein des unités qui ont perpétré les pires exactions. L’expérience de la guerre d’anéantissement à l’Est est incontestablement le premier d’entre eux. Les formations qui y ont été engagées ont acquis une culture de guerre extrêmement brutale, inspirée par d’évidentes considérations idéologiques, qu’elles ont transposées en France lorsqu’elles se sont trouvées en présence d’une situation similaire. En ce sens, il n’est guère surprenant de voir le général Walter Krüger, commandant du 58e corps d’armée blindé et vétéran du front de l’Est, couvrir les premières exactions commises par la division SS Das Reich en mai 1944, face aux récriminations de l’administration militaire en France. Deuxièmement, la durée d’engagement dans la lutte contre-insurrectionnelle a pu en soi conduire une unité à perpétrer des crimes contre la population, comme cela a été le cas de la 157e division de réserve dans les Alpes et le Jura dont l’action s’est radicalisée au fil des mois en 1944.
Vue aérienne du village d’Oradour-sur-Glane
Troisièmement, la conscience d’appartenir à une unité d’élite a indubitablement constitué un facteur déterminant. Que les soldats des divisions blindées, les parachutistes ou les troupes SS se retrouvent de manière récurrente sur les bancs des accusés ne relève en aucun cas du hasard. La volonté de performance s’est conjuguée à celle de s’imposer à un ennemi refusant ouvertement le combat, et pour cette raison dédaigné. Ne pas faillir était l’orgueil de ces troupes et de leurs cadres pour l’objectif primait sur les moyens d’y parvenir. Enfin l’adhésion à l’idéologie nationale-socialiste a constitué un quatrième facteur déterminant.
Le cimetière d’Oradour-sur-Glane en novembre 1944
À rebours d’une idée largement répandue, cette adhésion pouvait tout autant se retrouver au sein des unités de la Wehrmacht que de la Waffen-SS. Pour convaincre, il n’est que de lire le rapport établi par le chef du détachement de la 11e division blindée qui a pris la relève de la division Das Reich à Tulle. La particularité des troupes SS résidait néanmoins dans la culture spécifique prônant comme valeur ultime la dureté (Härte) envers soi-même et les autres.
Mme Roffanche, seule survivante de l’église D’Oradour-sur-Glane le 13 janvier 1953
Bilan des morts
55 enfants de moins de 5 ans
147 enfants de 5 à 14 ans
193 adultes masculins
240 adultes féminins
Pas un seul enfant ne sortie vivants de l’église. Trois enfants seulement échappèrent au rassemblement de l’école. Une seule femme rescapée de l’église. Trois femmes échappèrent au rassemblement et trois hommes. Quant aux constructions, tout fut rasé, l’église quatre écoles, la gare 328 bâtiments en tout ordre.
L’encouragement donné à l’individu pour dépasser ses propres inhibitions afin d’exécuter les ordres les plus sanglants permet de mieux comprendre ce bilan dramatique : Sept des dix massacres les plus importants en France en 1944 sont le fait d’unités de la Waffen-SS, qui sont aussi quasiment les seules troupes à avoir exécuté des femmes et des enfants.
Procès de 22 membres de a division Das Reich, responsables du massacre d’Oradour-sur-Glane au tribunal militaire de Pessac (Gironde) le 12 janvier 1953
À cet égard, il apparaît presque inéluctable que la division SS Das Reich, combinant ces quatre facteurs expérience de la guerre anti-partisans, puissant esprit de corps, endoctrinement, ait été la formation qui se soit singularisé par les crimes qu’elle a perpétrés en France.