À PROPOS DE LA BATAILLE DE SOLFERINO

Il y a 158 ans, le 24 juin 1859, la France et le royaume de Piémont-Sardaigne remportaient contre les Autrichiens la bataille de Solferino qui entra dans la légende comme l’une des plus sanglantes du XIXe siècle. Hervé Drevillon, professeur à Paris I Panthéon-Sorbonne, revient sur la réalité et mythe.

PHOTO 1

Napoléon III à la bataille de Solferino 24 juin 1859

En 1858, Cavour président du Conseil du royaume sarde, persuada Napoléon III de soutenir le projet d’unification italienne. Le principal obstacle à ce dessein était l’Autriche qui occupait alors la Lombardie et la Vénétie. Fort de cette alliance, le royaume de Piémont-Sardaigne entraîna la France dans une guerre contre l’Empire austro-Hongrois. Cette campagne d’Italie fut particulièrement audacieuse du point de vue stratégique. En revanche, d’un point de vue tactique, la bataille de Solferino fut particulièrement indigente. Une succession de mêlées confuses et désordonnées n’en distinguèrent pas moins un vainqueur et un vaincu : Après plus de vingt heures d’affrontements, les Autrichiens se retirèrent. En échange de son aide, Napoléon III recevrait la Savoie et le comté de Nice. Le banquier genevois Henry Dunant présent sur les lieux du combat le lendemain, rédigea Un souvenir de Solferino, qui parut en 1862 et contribua à véhiculer l’image selon laquelle Solferino était une bataille la plus sanglante du siècle. Mais était-ce vraiment le cas.

Qu’est-ce qui caractérise cette bataille

Napoléon III, qui joue volontiers sur des comparaisons avec le règne de Napoléon 1er , va tout faire pour que cette campagne d’Italie rappelle celle de Bonaparte. Elle va donc reposer sur la rapidité de l’intervention de la France aux côtés des troupes du royaume de Piémont-Sardaigne, afin que les Autrichiens n’aient pas le temps de contrer l’intervention française. L’acheminement des troupes venues de France est rapide puisque, pour la première fois, il se fait par train. L’armée passe ensuite les Alpes à pied et franchit le col du Grand Saint-bernard, sur les traces des soldats de Bonaparte. Il lui faut quatre jours pour aller de Lyon jusqu’au Piémont. Par ailleurs, cette campagne se caractérise par l’amélioration de l’armement : L’artillerie est dotée de canons à fûts rayés qui en augmente la portée et la précision; les armes à feu portatives également à canons rayés, sont équipées de systèmes visées, elles ont aussi une portée plus grande et leur temps de rechargement est beaucoup plus court. Si le déploiement logistique a été extrêmement rapide, le plan de bataille a été très rudimentaire parce que les troupes ont progressé très vite, ne laissant pas assez de temps aux généraux pour préparer le combat. La campagne d’Italie est un exemple À la fois d’innovation logistique le transport des troupes en train et  de pauvreté tactique. Même si les victoires sont incontestables et font la grandeur de Mac-Mahon qui les a remportées. Mais elle reflète un réel décalage entre la pensée stratégique française et la façon dont furent menées sur le terrain la campagne et les batailles, à savoir selon des formes relativement classiques reposant sur le feu, dont la puissance fut décisive, même si la bataille de Solferino est immortalisée dans la mémoire collective par l’élan offensive et la série d’assauts lancés par les troupes franco-sardes contre les positions autrichiennes installées sur des promontoires.

PHOTO 1

Bataille de Solferino, lithographie de Gustave Doré, 1859

Quelles furent réellement les pertes

Les statistiques très précises publiées par des médecins militaires montrent que la quasi-totalité des blessés l’ont été par des armes à feu, très peu par des armes blanches. Elles donnent raisons à Ardant du Picq quand il affirme que le choc physique entre les troupes n’a pas eu lieu. Cet officier qui prit part à la bataille a été témoin d’assauts ou la troupe perd sa cohésion, se bat en tirailleurs, ce qui évite les combats en ligne et donc de grosses pertes, et ceux qui sont en face ne résistent jamais jusqu’au point d’en arriver à un corps à corps. Quand on dit qu’une position a été emportée baïonnette au fusil, c’est vrai sauf que la baïonnette n’a servi à rien parce que l’ennemi était parti. À Solferino, le pourcentage des morts et des blessés est de 12,% vainqueurs et vaincus confondus (10% pour les franco-Sardes et environ 14% pour les Autrichiens). Sur les 150000 soldats franco-sardes et 170 000 combattants autrichiens engagés dans la bataille, 30 000 sont tués ou blessés. Au regard d’autres batailles, les chiffres montrent que Solferino ne fut pas l’hécatombe que voudrait la légende : À Marengo, il y avait eu 20% de pertes, à Borodino entre 25 et 30 %, à Leipzig 25%, à Eylau 21%. Certaines batailles de la guerre de 1879 causeront des pertes bien plus élevés dans les rangs français.

PHOTO 1

Les voltigeurs de la garde à Solferino lithographie 1900

Comment est-on passé de la réalité au mythe

Ce mythe doit beaucoup aux récits qui en ont été fait et plus particulièrement à celui d’Henry Dunant, le fondateur de ce qui deviendra la Croix-Rouge. Il n’était pas présent lors de la bataille, mais il a participé le lendemain à la mise en place du service hospitalier de secours aux blessés. Dans son récit Un souvenir de Solferino, publié en 1862, Dunant accrédite, à la différence d’Ardant du Picq, l’idée d’un déchaînement de violence sauvage. Certainement profondément marqué par ce qu’il a vu après la bataille, il parle de boucherie, carnage, pêle-mêle d’égorgement, décrit des scènes ou des soldats s’entretuent à coup de pierre, d’armes blanches, Henry Dunant, qui mène à l’échelle européenne une campagne pour créer un comité international qui deviendra la Croix-Rouge dramatise les affrontements dans un témoignage destiné à émouvoir le public, à l’amener à s’apitoyer sur le sort des blessés dont il considère que l’institution militaire ne s’occupe pas bien. De plus vers 1860, la France et l’Allemagne s’intéressent à la question du poids de la guerre sur la société, au fait que les citoyens sont enrôlés pour aller se battre. On s’interroge sur le bien-fondé du droit octroyé  à la puissance publique, la question des pertes prend une nouvelle dimension car l’évolution technologique rend les armes à feu plus efficaces et augmente par là-même leur capacité de destruction. La bataille de Solferino vient cristalliser toutes ses réflexions, elle sert de point de référence.

PHOTO 1

Bataille de Solferino, en 1859

Si Henry Dunant a une grande responsabilité dans la naissance du mythe des pertes à Solferino, l’attitude de napoléon III est loin d’être étrangère. À travers peintures et gravures, la propagande impériale met en scène l’empereur dans une posture d’affliction, de contrition, de regret pour le sang versé. Une posture qui est l’exacte réplique que celle de Napoléon 1er au lendemain de la bataille d’Eylau. En demandant au peintre Antoine Gros  de représenter un champ de bataille désolé, Napoléon 1er affichait le recueillement, la contrition, célébrait les morts, afin d’éviter le risque de se trouver en décalage avec la façon dont la population vivait la guerre. Bien sûr, c’était aussi une œuvre à sa gloire. Napoléon III marche dans les pas de son ancêtre. Au mythe des pertes s’ajoute celui de l’élan offensif, de la grandeur française du soldat brave, héroïque. Ce mythe est illustré par le zouave, audacieux, frondeur, difficile à commander et à contrôler, mais intrépide, ne reculant devant rien, sorte de Gascon en habit exotique, représentant ce que l’on considère comme la valeur française.

PHOTO 1

Bataille de Solferino, 24 juin 1859, gravure

D’autres témoins ont raconté la bataille, comme le journaliste Louis Noir ou Émile Zola dans la Terre. Elle se construit alors en tant qu’événement, auquel divers récit donnent forme. C’est la version Solferino donnée par Dunant qui est passé à la postérité. 

Commentaires:

Une Réponse à “À PROPOS DE LA BATAILLE DE SOLFERINO”

  1. CHRETIEN
    CHRETIEN écrit:

    Mon ancêtre Etienne François CHRETIEN
    engagé volontaire , sergent au 1e régiment
    de Zouaves , 2e bataillon , 4e compagnie
    matricule 694 est décédé le 24 juin 1859
    par coups de feu , en présence de trois témoins selon la loi .
    Il était serrurier et il n’a pas vécu
    assez longtemps pour se marier !
    Pensons à ces jeunes soldats de Solférino.

Laisser un commentaire

«
»