Grâce aux travaux entrepris par les historiens, la vision de la défaite française de mai-juin 1940 a considérablement évolué, réduisant à néant l’interprétation avancée par les autorités de Vichy sur une faillite généralisée de la France et de son armée. D’autres recherches ont analysé la stratégie de l’armée allemande pendant cette même période et ont remis en question la prétendue excellence de cette armée, détruisant ainsi le mythe du Blitzkrieg ou de la guerre-éclair.
Troupe allemande traversant la frontière polonaise, 1er septembre 1939
Depuis une quinzaine d’années, la recherche historique a revisité en profondeur la campagne de mai-juin 1940 qui vit la France subir la défaite la plus honteuse et la plus catastrophique de tous son histoire. Ces historiens ont ainsi pu tordre définitivement le cou à la légende forgée par Vichy dès le lendemain de la défaite, qui présentait celle-ci comme l’aboutissement logique et inévitable des faiblesses de la France et comme un châtiment somme toute mérité par son peuple. On sait maintenant de façon certaine que l’armée française de 1940 n’était pas si archaïque qu’on a bien voulu le faire croire, que ces matériels étaient loin d’être obsolètes même s’ils présentaient des faiblesses dans certains domaines, que son système stratégique n’était si absurde qu’on l’a dit, que les soldats français se sont bel et bien battus, qu’ils n’ont pas fui comme des lapins et que leurs adversaires allemands ont subi des pertes qui n’avaient rien de négligeable.
Armée allemande traversant la frontière en Alsace, 1940
Mais les plus intéressants de ces travaux concernent l’armée allemande, dont les mythes d’excellence son aujourd’hui remis en cause. Le principal de ces mythes concerne le soi-disant Blitzkrieg. Ce terme de Blitzkrieg guerre-éclair est largement le produit de tours de passe-passe historico-théoriques. Lorsque les historiens tentent d’en faire l’archéologie, ils peinent à en retrouver des traces solides dans les textes doctrinaux tactiques de l’armée allemande de l’entre-deux-guerres.
Heinz Guderian dans son véhicule de commandement du 19e corps blindé, 1940
Rien en tout cas qui soit pensé de façon globale et cohérent, pouvant s’insérer dans une doctrine stratégique nationale. Si quelques auteurs isolés ont employé timidement l’expression, ils ne représentaient en rien la doctrine officielle d’un état-major qui restait profondément hostile à ce qu’il considérait comme de l’aventurisme militaire. Ce n’est qu’après la victoire sur la Pologne qu’un article du Time Magazine américain du 25 septembre 1939 l’utilisa pour la première fois dans le sens qu’on lui connaîtra désormais. La propagande nazie se saisira ensuite de l’expression et saura pleinement l’exploiter. Il s’agit alors d’un terme essentiellement journalistique.
Colonne de char allemands dans la campagne française, mai-juin 1940
On ne commence véritablement à le trouver utilisé dans un texte de théorie militaire qu’au début des années 1950, lorsque l’auteur militaire britannique Basil Liddell Hart publie ses travaux sur la Seconde Guerre mondiale en collaboration étroite avec d’anciens généraux de la Wehrmacht, notamment Heinz Guderian. C’était la première fois que ce terme faisait l’objet d’une tentative de théorisation, mais il ne s’agissait que d’une re-création a posteriori. Et Guderian prit bien soin de se présenter comme l’inventeur unique de ce pseudo-concept en omettant au passage de signaler les travaux d’autres théoriciens des années vingt et trente qi étaient allés bien loin que lui dans la réflexion sur l’emploie des blindés. En outre, ces écrits intervenaient dans un contexte historique et stratégique bien particulier : la guerre froide faisait alors rage, et l‘Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) venait d’être créée ainsi que la République fédérale d’Allemagne, tous les deux la même année, en 1949.
Bombardiers Dornier pendant un raid aérien de la campagne de France, 1940
Les Anglo-Américains étaient alors engagés dans la création d’une armée ouest-allemande (dont la naissance sera effective en 1955) pour laquelle ils avaient besoin du concours organisationnel, politique et symbolique des anciens généraux de la Wehrmacht. Pour ce qui concerne la réalité des éclatantes victoires militaires allemandes des premières années de la guerre, les historiens et notamment Karl-Heinz Frieser, on depuis largement montré leur caractère aléatoire, contingent et, au moins dans le cas de la victoire sur la France du printemps 1940, obtenue d’extrême justesse, au point que les militaires allemands eux-mêmes parleront de miracle. Outre les tragiques erreurs du haut-commandement français, la victoire allemande fut principalement due à la désobéissance de Guderian et de Rommel, qui à la tête des seules forces réellement mécanisées de l’armée (soit 10%) prirent l’initiative de se ruer en direction des côtes de la Manche en ignorant les ordres du commandement de la Wehrmacht les exhortant frénétiquement à s’arrêter, car cette action n’était pas prévue dans le plan originel.
Le général Guderian dans son avion pendant la guerre
Initiative audacieuse et au final couronnée de succès, certes, mais aussi risque démesuré ayant à de multiples reprises failli connaître une issue catastrophique. En tout état de cause, cette victoire allemande, si elle reste extraordinaire, n’a aucune valeur de modèle, car non théorisée et impossible à reproduire.
L’excellence militaire allemande en question
Quant aux autres victoires obtenues par la Wehrmacht entre 1939 et 1941, elles furent contre des pays aux dimensions limitées et/ou à la puissance militaire largement inférieure à celle de l’Allemagne. Là encore, ces exemples n’ont donc que peu de valeur. Sur la longue durée d’une guerre planétaire, la puissance nazie ne pouvait que remporter quelques batailles et n’avait guère de chances de l’emporter car elle n’était fondée que sur l’excellence tactique et le très haut degré de professionnalisme de la Wehrmacht, au détriment d’une pensée stratégique et opérative qui lui fit constamment défaut, ce qui permet de mieux comprendre comment et pourquoi une armée, aussi puissante et efficace que veulent le faire croire les mythologies en vigueur a pu perdre les guerres titanesques dans lesquelles elle s’était engagée. C’est ici qu’une mise en perspective historique s’impose. Le mythe de l’excellence militaire allemande est né dans les dernières décennies du XIXe siècle, à la suite des victoires. De la Prusse dans ses guerres d’Unification de la décennie 1860, puis dans le conflit contre la France, en 1870-1871, dans la foulé, les écrits de Carl von Clausewitz connurent un succès planétaire, Le théoricien prussien des guerres napoléoniennes fut ainsi crédité des succès militaires de la Prusse bismarckienne ainsi que du caractère prophétique de ses écrits, censés annoncer l’avènement de la guerre totale. Or, non seulement Clausewitz ne fut en rien le prophète d’une guerre totale dont on cherche encore aujourd’hui une définition solide et objective, mais les succès militaires prussiens furent peut-être plus le résultat des réformes et des innovations dont l’armée prussienne fut l’objet dans les décennies précédentes que de la prise en compte des productions littéraires du célèbre théoricien.
Fantassins allemands durant l’attaque, France mai-juin 1940
Pourtant l’armée prussienne de la fin du XIXe siècle, entre temps devenue armée allemande, passa totalement à côté d’un événement militaire majeur et des leçons qu’il eût fallu tirer : La guerre de Sécession américaine. Soyons juste : À cette époque, pratiquement tous les dirigeants militaires européens passèrent à côté de ce conflit, jugé indigne d’intérêt et nullement susceptible de leur apporter quelque enseignement que ce soit. Toujours est-il que presque toute la théorie militaire occidentale, à défaut de penser en profondeur les nouvelles conditions de la guerre industrielle et mécanisée qui se déployaient alors, resta intellectuellement bloquée sur des paradigmes tant conceptuels que spéciaux et temporels qui étaient ceux des guerres napoléoniennes. Pendant ce temps, la technologie des armements évoluait à une vitesse encore jamais vue auparavant, sans laisser le temps à l’art de la guerre de s’adapter. On sentait cependant de façon confuse, qu’un véritable gouffre était en train de se creuser entre la pratique de la guerre et des armements de plus en plus meurtriers.
Stage sur la lutte antichar pour les fantassins de la division Grossedeutschland à partir d’un dessin d’un blindé T-34 soviétique, en avril 1943
Chacun tenta de répondre à sa façon. Les Français développèrent une mystique de l’élan, censé triompher de la puissance de feu adverse, tandis que les Allemands, s’en remettant aux vieilles recettes élaborées plus d’un siècle auparavant par Frédéric II de Prusse, recherchèrent la discipline de la troupe, mais surtout le professionnalisme le plus poussé pour les cadres, officiers et sous-officiers. Ce professionnalisme peut être défini comme l’addition du savoir-faire tactique et surtout micro-tactique, de la capacité à mettre en œuvre de façon optimale les arguments qui sont confiés aux forces armées, de l’organisation, de l’entraînement, de la discipline du sens de l’initiative tactique, de la capacité de résistance et de l’agressivité. Au combat.
Colonne blindée à Sedan (Ardennes) mai 1940
Mais la stratégie elle, resta le parent pauvre d’une pensée militaire allemande qui ne cessa de se montrer incapable de comprendre les nouveaux paradigmes d’un monde désormais planétisé. La grande tactique, quant à elle, régressa pour ne plus reposer que sur des conceptions purement mécaniques comme celle du double enveloppement. Et, surtout, les théoriciens militaires allemands passèrent totalement à côté de ce qui aurait dû être le grand saut conceptuel de l’art de la guerre industrielle et mécanisée. Ce troisième domaine de l’art de la guerre est fondé sur le fait qu’avec l’étendue des théâtres d’opérations et l’allongement de la durée des combats dus à la mécanisation et à l’accroissement considérable de la taille des armées, mais également du fait de la portée toujours plus grande des armements et de leur caractère meurtrier, l’idée d’une bataille devant se dérouler en un point unique était devenue caduque.
Division de Panzer se dirigeant vers Sedan, mai 1940
Les opérations distribuées conçues de façon systémique devait prendre la place d’une bataille qui avait été au centre de l’art occidental de la guerre depuis l’Antiquité grecque et répondait très exactement aux règles du théâtre classique : Unité de temps, de lieu et d’action. Dans ce cadre, les théoriciens militaires soviétiques développèrent des conceptions de l’emploi des différentes armes et notamment des blindés et de l’aviation, mais pas uniquement bien plus complexes et élaborées que celles définies par Guderian de Gaulle, Fuller ou Liddell Hart à la même époque dans leurs pays respectifs. Car même dans l’armée allemande, et contrairement à la légende, personne ne sut alors pleinement penser la guerre mécanisée. Guderian se révéla n’être qu’un banal technicien sans grande envergure, Rommel un tacticien dont les compétences furent celles d’un excellent capitaine de compagnie, ou au mieux d’un colonel audacieux à la tête de son régiment. Aucune théorisation du Blitzkrieg dans l’Allemagne des années 1930, donc, l’expression n’apparaît ainsi dans aucune source.
Avion Stuka au-dessus de la France en mai-juin 1940
Tout au plus quelques leçons tirées d’exemples de tactiques d’infiltrations mise en œuvre en 1918. En réalité, le seul écrit militaire allemand qui ait une réelle valeur et eut une réelle influence fut le Truppenführung de 1935. Mais là encore, il ne s’agit précisément que d’un excellent manuel technique, et en rien d’une théorie de la guerre-éclair. Or la guerre ne peut être menée victorieusement grâce aux seules compétences techniques et tactiques. La stratégie et l’art des opérations sont même d’autant plus nécessaires pour penser, planifier et conduire l’action que les techniques sont omniprésentes et démultiplient la complexité de la guerre.
Colonne de chars soviétiques T-34 pendant la bataille de Koursk 9 juillet 1943
Les chefs militaires allemands et encore moins les chefs du parti et de l’État nazi ne le comprirent jamais réellement; la suite de la Seconde Guerre mondiale le prouva amplement.