En juillet 1940, les Allemands envahissent les îles Britanniques de Jersey Guernesey et Aurigny. Des déportés français, notamment juifs, mais aussi Espagnols, vont être amenés entre autres à Aurigny pour participer à construction du mur de l’Atlantique.
Mur anti-char sur Longis Bay
Après l’armistice de 1940, les Allemands s’emparèrent à partir du 2 juillet des îles anglo-normandes : Jersey, Guernesey et Aurigny (Alderney) qui s’était vidée de ses habitants depuis une dizaine de jours à l’exception de quelques irréductibles dont un fermier et des personnes trop âgées pour entreprendre le voyage. La propagande allemande mis en avant le fait qu’elle avait déjà posé le pied en terre britannique. Après l’échec de la bataille d’Angleterre. Fin 1940, les îles entrèrent dans le processus de fortifications appelé plus tard le mur de l’Atlantique. Les nazis cherchèrent alors une main-d’œuvre corvéable et docile. Les premiers déportés arrivèrent à Aurigny en février 1942. Au milieu de l’année 1943, ils étaient environ 5000 sur un territoire qui pouvait nourrir à peine plus de 1500 personnes avant la guerre. Les détenus étaient répartis entre plusieurs camps. Helgoland rassemblai de jeunes civils raflés sur le front de l’est pendant l’hiver 1941-1942.
Soldat allemands sur l’une des îles anglo-normandes
Le camp no2 Norderney, regroupait une population diverse avant de laisser place aux déportés de France. Sylt reçut des détenus russes jusqu’en 1943, puis une SS-Baubrigade I venant de Sachsenhausen, composée de 1000 personnes. Enfin Borkum était constitué surtout d’Allemands, requis ou objecteurs de conscience. 855 déportés de France sont recensés entre février 1942 et juin 1944. À l’exception de deux Français de la SS-Baubrigade I tous sont passés par le camp Nordney. À la date de 22 février 1942, les premiers arrivés dans l’île, environ une trentaine de personnes, étaient des Républicains espagnols passés par des camps du sud de la France (Argelès-sur-mer, puis le Vernet par exemple) les 12 août et 11 octobre 1943, deux convois Juifs arrivèrent composés respectivement de 325 et 245 hommes; entre-temps, le 9 septembre, 113 détenus avaient été amenés du camp de Compiègne-Royaullieu. Le 17 mai 1944, un nouveau convoi d’une trentaine de personnes, presque toutes arrêtées en Basse-Normandie pour fait de résistance, débarqua sur l’île, puis le 5 juin, un dernier groupe d’une quarantaine de personnes venant du camp du Vernet, pour la plupart de nationalité étrangère.
Parmi les 855 déportés de France, les Juifs constituent le groupe le plus important : 590 hommes majoritairement conjoints d’aryennes dont le statut se rapprochait de celui des demi-Juifs. Le sort particulier qui leur fut réservé résulte peut-être d’un compromis entre Vichy et les autorités allemandes. Pour se faire reconnaître en tant que tel, il fallait fournir les certificats de baptême de quatre grands-parents de l’épouse. Ceux qui ne pouvaient justifier de ce statut furent assimilés aux autres juifs et déportés vers l’est. Certains, qui avaient pourtant fourni les preuves matérielles nécessaires, furent joints à un convoi vers l’est afin de le compléter.
Visite du tunnel en 1984
Pourquoi la déportation à Aurigny de ces Juifs détenus à Drancy parmi la catégorie A, celles des non-déportables a-t-elle été décide. À l’été 1943, Brünner remplaça Röthke à la direction de Drancy, ce qui coïncida avec une intensification des déportations. Au mois de juillet, les premiers conjoints d’aryennes quittèrent la région parisienne pour Querqueville près de Cherbourg avant d’être transférés à Aurigny le 12 août. Deux SS du camp de Neuhengamme, Adam Alder et Heinrich Evers vinrent les encadrer. Les Juifs avaient été arrêtés à l’improviste pour plus d’un tiers, un simple contrôle d’identité pouvait engendrer l’arrestation. Plus d’un quart s’étaient fait prendre lors de rafles effectuées à Paris au cours de l’année 1941. 16% des arrestations étaient dues à des infractions aux Lois raciales, comme la non-apposition du terme Juif sur la carte d’identité. Il faut noter qu’environ 10% des Juifs d’Aurigny n’étaient pas des conjoints d’aryennes. Il s’agissait pour la plupart de requis au titre du Service du travail obligatoire.
Convoqués quelques jours avant le départ du second convoi de Juifs en octobre 1943, ils furent arrêtés et déportés à Aurigny. Une décision des Allemands qui peut expliquer par leur besoin d’une force de travail plus performante, les conjoints d’aryennes étant en effet pour une bonne moitié nés avant 1900. Les 265 autres déportés avaient été arrêtés pour près d’un tiers à la suite d’actes de résistance; certains parmi eux appartenaient à un mouvement ou à un réseau (30% de ces arrestations). Un autre tiers avait été pris lors de rafles, notamment celle du Vieux Port à Marseille le 23 janvier 1943. Les réfugiés espagnols, quant à eux, représentaient 16% de l’effectif de référence, mais ce chiffre reste sans doute en deçà de la réalité. Sur place, les SS n’avaient autorité que sur le camp. C’étaient les membres de l’organisation Todt qui venaient chercher leur main-d’œuvre. Chaque matin, les déportés subissaient l’appel puis l’attente. À la sorite du camp, une bande blanche était peinte sur leur pantalon.
Seul les membres de la SS-Baubrigade I portaient l’uniforme rayé. Leur travail consistait à couler du béton pour construire de nouveaux blockhaus. Sur place, les conditions variaient d’un chantier à l’autre. Comme le rappelle le déporté Henri Bloch, certains sont corrects, très corrects même, mais d’autres, déchaînés, se livre à des voies de faits surtout quand ils ont trop bu. Après une journée de 12 à 15 heures de travail, de retour au camp, des corvée les attendaient. Dans les baraques, puces, poux et rats proliféraient. Une douche était à la disposition des déportés, pour éviter les maladies due au manque d’hygiène. Les admissions à l’infirmerie du camp, dont l’effectif ne devait pas dépasser 4% du groupe, étaient surtout la conséquence de la sous-alimentation et de l’état d’épuisement des organismes.
Lors du procès des deux chefs SS en novembre 1949 à Metz, Evers qui prenait ses ordres d’Adler, a été reconnu coupable de la plus grande brutalité. Les colis destinés aux déportés étaient détournés : Un première ponction dans le port de Cherbourg, une autre à l’entrée sur l’île, une dernière par les chefs de Norderney. Les deux SS avaient aussi mené deux étranges exercices d’évacuation en cas d’urgence, entassant les déportés dans un tunnel de 25 cm de long sur 10 de large. Le peu de solidité de l’édifice et les propos de l’interprète rapportés lors du procès indiquent que c’était en fait un moyen d’éliminer les détenus pour ne pas les livrer vivant si les Alliés débarqueraient.
Mémorial Hammond
En avril 1948, la reconnaissance d’Aurigny comme camp de déportation n’était valable que pour le camp de Norderney depuis l’arrivée des Juifs jusqu’au démantèlement de tous les camps, ce qui excluait les premiers Espagnol;s restés un an et demi sur l’île, mais incluait les Bas-Normands et les étrangers du Vernet resté sur place entre trois semaines et quarante jours. Parallèlement, l’Amical d’Aurigny a entretenu leur mémoire par des commémorations et des pèlerinages avec le soutien nombreuses amicales des autres camps. En 1995, la Fondation pour le mémoire de la Déportation a décidé de les inclure dans son étude (le Livre mémorial) puisqu’il s’agissait de ne laisser aucun déporté dans l’ombre.